Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/172

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Conservare digneris
(Les paysans.)
Te rogamus audi nos !

Et la foule pieuse s’éloignait, s’éloignait toujours.

. . . . . . . . . . . . . . .
(Decrescendo).
Sancte Barnaba
Ora pro nobis !
(Perdendo).
Sancta Magdalena
Ora pro. . . . .
Sancta Maria,
Ora. . . . . . .
Sancta. . . . . .
. . . . . . nobis.
. . . . . . . . .

Silence... léger frémissement des blés en fleur, ondoyant sous la molle pression de l’air du matin... Cri des cailles amoureuses appelant leur compagne... l’ortolan, plein de joie, chantant sur la pointe d’un peuplier... calme profond... une feuille morte tombant lentement d’un chêne... coups sourds de mon cœur... évidemment la vie était hors de moi, loin, très-loin... À l’horizon les glaciers des Alpes, frappés par le soleil levant, réfléchissaient d’immenses faisceaux de lumière... C’est de ce côté qu’est Meylan... derrière ces Alpes, l’Italie, Naples, le Pausilippe... les personnages de mon roman... des passions ardentes... quelque insondable bonheur... secret... allons, allons, des ailes !... dévorons l’espace ! il faut voir, il faut admirer !... il faut de l’amour, de l’enthousiasme, des étreintes enflammées, il faut la grande vie !... mais je ne suis qu’un corps lourd cloué à terre ! ces personnages sont imaginaires ou n’existent plus... quel amour ?... quelle gloire ?... quel cœur ?... où est mon étoile ?... la Stella montis ?... disparue sans doute pour jamais... quand verrai-je l’Italie ?...

Et l’accès se déclara dans toute sa force, et je souffris affreusement, et je me couchai à terre, gémissant, étendant mes bras douloureux, arrachant convulsivement des poignées d’herbe et d’innocentes pâquerettes qui ouvraient en vain leurs grands yeux étonnés, luttant contre l’absence, contre l’horrible isolement.

Et pourtant, qu’était-ce qu’un pareil accès comparé aux tortures que j’ai éprouvées depuis lors, et dont l’intensité augmente chaque jour ?...