Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/182

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Une marche forcée nous fit parvenir en un jour de San-Germano à Isola di Sora, village situé sur la frontière du royaume de Naples et remarquable par une petite rivière qui forme une assez belle cascade, après avoir mis en jeu plusieurs établissements industriels. Une mystification d’un singulier genre nous y attendait. M. Kl... rn et moi nous avions les pieds en sang, et tous les trois furieux de soif, harassés, couverts d’une poussière brûlante, notre premier mot, en entrant dans la ville, fut pour demander la locanda (l’auberge).

« — E...... locanda... non ce n’è,» nous répondaient les paysans avec un air de pitié railleuse. «Ma però per la notte dove si va ?

— E...... chi lo sa ?...»

Nous demandons à passer la nuit dans une mauvaise remise ; il n’y avait pas un brin de paille, et d’ailleurs le propriétaire s’y refusait. On n’a pas d’idée de notre impatience, augmentée encore par le sang-froid et les ricanements de ces manants. Se trouver dans un petit bourg commerçant comme celui-là, obligés de coucher dans la rue, faute d’une auberge ou d’une maison hospitalière... c’eût été fort, mais c’est pourtant ce qui nous serait arrivé indubitablement, sans un souvenir qui me frappa fort à propos.

J’avais déjà passé de jour, une fois, à Isola di Sora ; je me rappelai heureusement le nom de M. Courrier, Français, propriétaire d’une papeterie. On nous montre son frère dans un groupe ; je lui expose notre embarras, et après un instant de réflexion, il me répond tranquillement en français, je pourrais même dire en dauphinois, car l’accent en fait presque un idiome :

« — Pardi ! on vous couchera ben.

— Ah ! nous sommes sauvés ! M. Courrier est Dauphinois, je suis Dauphinois, et entre Dauphinois, comme dit Charlet, l’affaire peut s’arranger.»

En effet, le papetier qui me reconnut exerça à notre égard la plus franche hospitalité. Après un souper très-confortable, un lit monstre, comme je n’en ai vu qu’en Italie, nous reçut tous les trois ; nous y reposâmes fort à l’aise, en réfléchissant qu’il serait bon, pour le reste de notre voyage, de connaître les villages qui ne sont pas sans locanda, pour ne pas courir une seconde fois le danger auquel nous venions d’échapper. Notre hôte nous tranquillisa un peu le lendemain, par l’assurance qu’en deux jours de marche nous pourrions arriver à Subiaco ; il n’y avait donc plus qu’une nuit chanceuse à passer. Un petit garçon nous guida à travers les vignes et les bois pendant une heure, après quoi, sur quelques indications assez vagues qu’il nous donna, nous poursuivîmes seuls notre route.

Veroli est un grand village qui, de loin, a l’air d’une ville et couvre le sommet d’une montagne. Nous y trouvâmes un mauvais dîner de pain et de jambon cru, a l’aide duquel nous parvînmes, avant la nuit, à un autre rocher habité, plus âpre et plus sauvage ; c’était Alatri. À peine parvenus à l’entrée de la rue