Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/201

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il faut compter la correction des épreuves de musique. L’éditeur Troupenas m’ayant, entre autres ouvrages, donné à corriger les partitions des symphonies de Beethoven, que M. Fétis avait été chargé de revoir avant moi, je trouvai ces chefs-d’œuvre chargés des modifications les plus insolentes portant sur la pensée même de l’auteur, et d’annotations plus outrecuidantes encore. Tout ce qui, dans l’harmonie de Beethoven, ne cadrait pas avec la théorie professée par M. Fétis, était changé avec un aplomb incroyable. À propos de la tenue de clarinette sur le mi bemol, image pas disponible Si bemol au-dessus de l’accord de sixte Fa dans l’andante de la symphonie en ut mineur, Ré bemol

M. Fétis avait même écrit en marge de la partition cette observation naïve : «Ce mi b est évidemment un fa : il est impossible que Beethoven ait commis une erreur aussi grossière.» En d’autres termes : Il est impossible qu’un homme tel que Beethoven ne soit pas dans ses doctrines sur l’harmonie entièrement d’accord avec M. Fétis. En conséquence M. Fétis avait mis un fa à la place de la note si caractéristique de Beethoven, détruisant ainsi l’intention évidente de cette tenue à l’aigu, qui n’arrive sur le fa que plus tard et après avoir passé par le mi naturel, produisant ainsi une petite progression chromatique ascendante et un crescendo du plus remarquable effet. Déjà irrité par d’autres corrections de la même nature qu’il est inutile de citer, je me sentis exaspéré par celle-ci. «Comment ! me dis-je, on fait une édition française des plus merveilleuses compositions instrumentales que le génie humain ait jamais enfantées, et, parce que l’éditeur a eu l’idée de s’adjoindre pour auxiliaire un professeur enivré de son mérite et qui ne progresse pas plus dans le cercle étroit de ses théories que ne fait un écureuil en courant dans sa cage tournante, il faudra que ces œuvres monumentales soient châtrées, et que Beethoven subisse des corrections comme le moindre élève d’une classe d’harmonie ! Non certes ! cela ne sera pas.» J’allai donc immédiatement trouver Troupenas et je lui dis : «M. Fétis insulte Beethoven et le bon sens. Ses corrections sont des crimes. Le mi b qu’il veut ôter dans l’andante de la symphonie en ut mineur est d’un effet magique, il est célèbre dans tous les orchestres de l’Europe, le fa de M. Fétis est une platitude. Je vous préviens que je vais dénoncer l’infidélité de votre édition et les actes de M. Fétis à tous les musiciens de la Société des concerts et de l’Opéra, et que votre professeur sera bientôt traité comme il le mérite par ceux qui respectent le génie et méprisent la médiocrité prétentieuse.» Je n’y manquai pas. La nouvelle de ces sottes profanations courrouça les artistes parisiens et le moins furieux ne fut pas Habeneck, bien qu’il corrigeât, lui aussi, Beethoven d’une autre manière, en supprimant, à l’exécution de la même symphonie, une reprise entière du finale et les parties de contre-basse au début du scherzo. La rumeur fut telle que Troupenas fut contraint de faire disparaître les corrections, de rétablir le texte original, et que M. Fétis crut prudent de publier un gros mensonge dans sa Revue musicale, en niant que le bruit public