Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/247

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local et sous un seul directeur, au lieu d’avoir trois salles d’études et trois maîtres de chant pour les répétitions préliminaires, et d’isoler ainsi pendant quelques jours, les soprani et les contralti, les basses et les ténors : procédé qui économise le temps et amène dans l’enseignement des diverses parties chorales d’excellents résultats. En général, les choristes allemands, les ténors surtout, ont des voix plus fraîches et d’un timbre plus distingué que celles que nous entendons dans nos théâtres ; mais il ne faut pas trop se hâter de leur accorder la supériorité sur les nôtres, et vous verrez bientôt, si vous voulez bien me suivre dans les différentes villes que j’ai visitées, qu’à l’exception de ceux de Berlin, de Francfort et de Dresde peut-être, tous les chœurs de théâtre sont mauvais ou d’une grand médiocrité. Les Académies de chant doivent, au contraire, être regardées comme une des gloires musicales de l’Allemagne ; nous tâcherons plus tard de trouver la raison de cette différence.

Mon voyage a commencé sous de fâcheux auspices ; les contre-temps, les malencontres de toute espèce se succédaient d’une façon inquiétante, et je vous assure, mon cher ami, qu’il a fallu presque de l’entêtement pour le poursuivre et le mener à fin et à bien. J’étais parti de Paris me croyant assuré de donner trois concerts dès le début : le premier devait avoir lieu à Bruxelles, où j’étais engagé par la Société de la Grande Harmonie ; les deux autres étaient déjà annoncés à Francfort par le directeur du théâtre, qui paraissait y attacher beaucoup d’importance et mettre le plus grand zèle à en assurer l’exécution. Et cependant de toutes ces belles promesses, de tout cet empressement, qu’est-il résulté ? Absolument rien ! Voici comment : Madame Nathan-Treillet avait eu la bonté de me promettre de venir exprès de Paris pour chanter au concert de Bruxelles. Au moment de commencer les répétitions, et après de pompeuses annonces de cette soirée musicale, nous apprenons que la cantatrice venait de tomber assez gravement malade et qu’il lui était, en conséquence, impossible de quitter Paris. Madame Nathan-Treillet a laissé à Bruxelles de tels souvenirs du temps où elle y était prima-donna au théâtre, qu’on peut dire sans exagération, qu’elle y est adorée ; elle y fait fureur, fanatisme, et toutes les symphonies du monde ne valent pas pour les Belges une romance de Loïsa Puget chantée par madame Treillet. À l’annonce de cette catastrophe, la Grande Harmonie tout entière est tombée en syncope, la tabagie attenant à la salle des concerts est devenue déserte, toutes les pipes se sont éteintes comme si l’air eût subitement manqué, les Grands Harmonistes se sont dispersés en gémissant. J’avais beau leur dire pour les consoler : «Mais le concert n’aura pas lieu, soyez tranquilles, vous n’aurez pas le désagrément d’entendre ma musique, c’est une compensation suffisante, je pense, à un malheur pareil !» Rien n’y faisait.

Leurs yeux fondaient en pleurs de bière, et nolebant consolari, parce que madame