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Mon père encore m’avait donné ce commencement d’instruction musicale.

Le hasard m’ayant fait trouver un flageolet au fond d’un tiroir où je furetais, je voulus aussitôt m’en servir cherchant inutilement à reproduire l’air populaire de Marlborough.

Mon père, que ces sifflements incommodaient fort, vint me prier de le laisser en repos, jusqu’à l’heure où il aurait le loisir de m’enseigner le doigté du mélodieux instrument, et l’exécution du chant héroïque dont j’avais fait choix. Il parvint en effet à me les apprendre sans trop de peine ; et, au bout de deux jours, je fus maître de régaler de mon air de Marlborough toute la famille.

On voit déjà, n’est-ce pas, mon aptitude pour les grands effets d’instruments à vent ?... (Un biographe pur sang ne manquerait pas de tirer cette ingénieuse induction...) Ceci inspira à mon père l’envie de m’apprendre à lire la musique ; il m’expliqua les premiers principes de cet art, en me donnant une idée nette de la raison des signes musicaux et de l’office qu’ils remplissent. Bientôt après, il me mit entre les mains une flûte, avec la méthode de Devienne, et prit, comme pour le flageolet, la peine de m’en montrer le mécanisme. Je travaillai avec tant d’ardeur, qu’au bout de sept à huit mois j’avais acquis sur la flûte un talent plus que passable. Alors, désireux de développer les dispositions que je montrais, il persuada à quelques familles aisées de la Côte de se réunir à lui pour faire venir de Lyon un maître de musique. Ce plan réussit. Un second violon du Théâtre des Célestins, qui jouait en outre de la clarinette, consentit à venir se fixer dans notre petite ville barbare, et à tenter d’en musicaliser les habitants moyennant un certain nombre d’élèves assuré et des appointements fixes pour diriger la bande militaire de la garde nationale. Il se nommait Imbert. Il me donna deux leçons par jour ; j’avais une jolie voix de soprano ; bientôt je fus un lecteur intrépide, un assez agréable chanteur, et je jouai sur la flûte les concertos de Drouet les plus compliqués. Le fils de mon maître, un peu plus âgé que moi, et déjà habile corniste, m’avait pris en amitié. Un matin il vint me voir, j’allais partir pour Meylan : «Comment, me dit-il, vous partez sans me dire adieu ! Embrassons-nous, peut-être ne vous reverrai-je plus...» Je restai surpris de l’air étrange de mon jeune camarade et de la façon solennelle avec laquelle il m’avait quitté. Mais l’incommensurable joie de revoir Meylan et la radieuse Stella montis me l’eurent bientôt fait oublier. Quelle triste nouvelle au retour ! Le jour même de mon départ, le jeune Imbert, profitant de l’absence momentanée de ses parents, s’était pendu dans sa maison. On n’a jamais pénétré le motif de ce suicide.

J’avais découvert, parmi de vieux livres, le traité d’harmonie de Rameau, commenté et simplifié par d’Alembert. J’eus beau passer des nuits à lire ces théories obscures, je ne pus parvenir à leur trouver un sens. Il faut en effet être