Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/340

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partie son éducation musicale à Paris, où il a compté parmi les meilleurs élèves de Reicha. C’était donc pour moi un condisciple, et il m’a traité comme tel. Quant à Schlosser, le concert-meister déjà nommé, il s’est montré si bon camarade, il a mis tant d’ardeur à me seconder, que je suis vraiment dans l’impossibilité de parler comme il conviendrait de celles de ses compositions dont il m’a permis la lecture ; j’aurais l’air de reconnaître son hospitalité, quand je ne ferais que lui rendre justice. Nouvelle preuve de la vérité de l’anti-proverbe : Un bienfait est toujours perdu !

Il y a à Darmstadt une bande militaire d’une trentaine de musiciens ; je l’ai bien enviée au grand-duc. Tout cela joue juste, a du style, et possède un sentiment du rhythme qui donne de l’intérêt même aux parties de tambours.

Reichel (l’immense voix de basse qui me fut si utile à Hambourg) se trouvait, à mon arrivée, depuis quelque temps à Darmstadt, où, dans le rôle de Marcel des Huguenots, il avait obtenu un véritable triomphe. Il eut encore l’obligeance de chanter le Cinq mai, mais avec un talent et une sensibilité de beaucoup au-dessus des qualités qu’il avait montrées en exécutant ce morceau la première fois. Il fut admirable surtout à la dernière strophe, la plus difficile a bien nuancer :

Wie ? Sterben er ? o Ruhm, wie verwaist bist du ! Quoi ! lui mourir ! ô gloire, quel veuvage !

Ensuite l’air du Figaro de Mozart «Non più andrai,» que nous avions ajouté au programme, montra la souplesse de son talent, en le faisant briller sous une face nouvelle, lui valut un bis de toute la salle, et le lendemain un engagement très-avantageux au théâtre de Darmstadt. Je me dispense de vous narrer... le reste. Si vous allez dans ce pays-là on vous dira seulement que j’ai eu la vanité naïve de trouver le public et les artistes très-intelligents.

Nous voici maintenant, mon cher Osborne, au terme de ce pèlerinage, le plus difficile peut-être qu’un musicien ait jamais entrepris, et dont le souvenir, je le sens doit planer sur le reste de ma vie. Je viens, comme les hommes religieux de l’ancienne Grèce, de consulter l’oracle de Delphes. Ai-je bien compris le sens de sa réponse ? Faut-il croire ce qu’elle paraît contenir de favorable à mes vœux ?... N’y a-t-il pas d’oracles trompeurs ?... L’avenir, l’avenir seul en décidera. Quoi qu’il en soit, je dois rentrer en France et adresser enfin mes adieux à l’Allemagne, cette noble seconde mère de tous les fils de l’harmonie. Mais où trouver des expressions égales à ma gratitude, à mon admiration, à mes regrets ?... Quel hymne pourrais-je chanter qui fût digne de sa grandeur et de sa