Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/342

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— Je donnerai le rôle d’Agathe à madame Stoltz, celui d’Annette à mademoiselle Dobré, Duprez chantera Max.

— Je parie que non, dis-je en l’interrompant.

— Pourquoi donc ne le chanterait-il pas ?

— Vous le saurez bientôt.

— Bouché fera un excellent Gaspard.

— Et pour l’Ermite qui avez-vous ?

— Oh !... répondit M. Pillet avec embarras, c’est un rôle inutile, qui fait longueur, mon intention serait de faire disparaître toute la partie de l’ouvrage dans laquelle il figure.

— Rien que cela ? C’est ainsi que vous entendez respecter le Freyschütz et ne pas imiter M. Castil-Blaze !... Nous sommes fort loin d’être d’accord ; permettez que je me retire, il m’est impossible de me mêler en rien à cette nouvelle correction.

— Mon Dieu ! que vous êtes entier dans vos opinions ! Eh bien ! on gardera l’Ermite, on conservera tout, je vous en donne ma parole.»

Émilien Paccini qui devait traduire le livret allemand, m’ayant, lui aussi, donné cette assurance, je consentis, non sans méfiance, à me charger de la composition des récitatifs. Le sentiment qui m’avait porté à exiger la conservation intégrale du Freyschütz, sentiment que beaucoup de gens qualifiaient de fétichisme, enlevait ainsi tout prétexte aux remaniements, dérangements, suppressions et corrections auxquels on n’eût pas manqué de se livrer avec ardeur. Mais il devait aussi résulter de mon inflexibilité un inconvénient grave : le dialogue parlé, mis tout entier en musique, parut trop long, malgré les précautions que j’avais prises pour le rendre aussi rapide que possible. Jamais je ne pus faire abandonner aux acteurs leur manière lente, lourde et emphatique de chanter le récitatif ; et dans les scènes entre Max et Gaspard principalement, le débit musical de leur conversation essentiellement simple et familière, avait toute la pompe et la solennité d’une scène de tragédie lyrique. Cela nuisit un peu à l’effet général du Freyschütz, qui néanmoins obtint un éclatant succès. Je ne voulus pas être nommé comme auteur de ces récitatifs, où les artistes et les critiques trouvèrent pourtant des qualités dramatiques, un mérite spécial, celui du style, qui disaient-ils, s’harmoniait parfaitement avec le style de Weber, et une réserve dans l’instrumentation que mes ennemis eux-mêmes furent forcés de reconnaître.

Ainsi que je l’avais prévu, Duprez qui, dix ans auparavant, avec sa petite voix de ténor léger, avait chanté Max (Tony) dans le pasticio de Robin des Bois à l’Odéon, ne put adapter à sa grande voix de premier ténor ce même rôle écrit, il est vrai, un peu bas en général. Il proposa les plus singulières transpositions entremêlées nécessairement des modulations les plus insensées, des