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contemplèrent tant de fois. Rien n’est changé. — Le temps a respecté le temple de mes souvenirs. Seulement des inconnus l’habitent aujourd’hui : vos fleurs sont cultivées par des mains étrangères et personne au monde, pas même vous, n’eût pu deviner pourquoi un homme à l’air sombre, aux traits empreints de fatigues douloureuses, en parcourait hier les plus secrets réduits… O quante lagrime !… Adieu, madame, je retourne dans mon tourbillon ; vous ne me verrez probablement jamais, vous ignorerez qui je suis, et vous pardonnerez, je l’espère, l’étrange liberté que je prends aujourd’hui de vous écrire. Je vous pardonne aussi d’avance de rire des souvenirs de l’homme comme vous avez ri de l’admiration de l’enfant.

« Despised love[1]

« Grenoble, 6 décembre 1848. »

Et malgré les railleries de mon cousin, j’envoyai la lettre. J’ignore ce qu’il en est advenu… Je n’ai plus, depuis lors, entendu parler de madame F*******. Je dois dans quelques mois retourner à Grenoble. Oh ! cette fois, je le sens, je n’y résisterai pas… j’irai à Vif[2].


LIX


Mort de ma sœur. — Mort de ma femme. — Ses obsèques. — L’Odéon. — Ma position dans le monde musical. — La presque impossibilité pour moi de braver au théâtre les haines que j’ai suscitées. — La cabale de Covent-Garden. — La coterie du Conservatoire de Paris. — La symphonie rêvée et oubliée. — Le charmant accueil qu’on me fait en Allemagne. — Le roi de Hanovre. — Le duc de Weimar. — L’intendant du roi de Saxe. — Mes adieux.


J’ai hâte d’en finir avec ces mémoires, leur rédaction m’ennuie et me fatigue presque autant que celle d’un feuilleton ; d’ailleurs quand j’aurai écrit les quelques

  1. Amour dédaigné. Expression de Shakespeare dans Hamlet.
  2. Je n’y suis jamais allé. J’ai su seulement, il y a cinq ans, que madame F****** habitait Lyon. Vit-elle encore ?… je n’ose m’en informer. (Février 1854.)

    Elle vit toujours, je le sais. (Août 1854.)