Page:Berlioz - Mémoires, 1870.djvu/99

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lesquelles le gaillard avait fait de si terribles fredaines, que la consomption avait un instant paru vouloir réparer à son égard la négligence du choléra-morbus. Lui ayant un jour, à propos de la Syrie, parlé de Volney, de ce bon M. le comte de Volney si simple qui avait toujours des bas de laine bleue, son estime pour moi s’accrut d’une manière remarquable ; mais son enthousiasme n’eut plus de bornes quand j’en vins à lui demander s’il avait connu le célèbre voyageur Levaillant.

— M. Levaillant !... M. Levaillant, s’écria-t-il vivement, pardieu si je le connais !... Tenez ! Un jour que je me promenais au Cap de Bonne-Espérance, en sifflant... j’attendais une petite négresse qui m’avait donné rendez-vous sur la grève, parce que, entre nous, il y avait des raisons pour qu’elle ne vint pas chez moi. Je vais vous dire...

— Bon, bon, nous parlions de Levaillant.

— Ah ! oui. Eh bien ! un jour que je sifflais en me promenant au Cap de Bonne-Espérance, un grand homme basané, qui avait une barbe de sapeur, se retourne vers moi : il m’avait entendu siffler en français, c’est apparemment à ça qu’il me reconnut :

— Dis donc, gamin, qu’il me dit, tu es Français ?

— Pardi, si je suis Français ! que je lui dis, je suis de Givet, département des Ardennes, pays de M. Méhul[1].

— Ah ! tu es Français ?

— Oui.

— Ah !... — Et il me tourna le dos. C’était M. Levaillant. Vous voyez si je l’ai connu.

Le père Pingard était donc mon ami ; aussi me traitait-il comme tel en me confiant des choses qu’il eût tremblé de dévoiler à tout autre. Je me rappelle une conversation très-animée que nous eûmes ensemble le jour où le second prix me fut accordé. On nous avait donné cette année-là pour sujet de concours un épisode du Tasse : Herminie se couvrant des armes de Clorinde et, à la faveur de ce déguisement, sortant des murs de Jérusalem pour aller porter à Tancrède blessé les soins de son fidèle et malheureux amour.

Au milieu du troisième air (car il y avait toujours trois airs dans ces cantates de l’Institut ; d’abord le lever de l’aurore obligé, puis le premier récitatif suivi d’un premier air, suivi d’un deuxième récitatif suivi d’un deuxième air, suivi d’un troisième récitatif suivi d’un troisième air, le tout pour le même personnage) ; dans le milieu du troisième air donc, se trouvaient ces quatre vers.

  1. Méhul est en effet de Givet, mais je doute qu’il fût né à l’époque où Pingard prétend avoir parlé de lui à Levaillant.