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Les jeux de l’orgue se divisent en jeux à Bouche et en jeux d’Anche ; ainsi nommés, les premiers, d’une sorte de bouche ouverte à l’une de leurs extrémités et qui sert à la formation du son, les seconds d’une languette de cuivre placée également à l’extrémité du tuyau et qui produit un timbre spécial.

Les jeux à Bouche se divisent en jeux de fond ou d’octave et en jeux de mutation. Les jeux de fond sont ouverts ou bouchés ; les jeux bouchés qu’on nomme Bourdons sont à l’octave inférieure des tuyaux ouverts de même grandeur.

Les jeux de mutation ont cela d’étrange qu’ils font entendre au dessus de chaque son la tierce, la quinte, la dixième, la douzième etc., de ce même son, de manière à figurer, par l’action de plusieurs petits tuyaux, les aliquotes ou sons harmoniques des grands tuyaux. Les facteurs d’orgue et les organistes s’accordent à trouver excellent l’effet produit par cette résonnance multiple, qui en définitive cependant, fait entendre simultanément plusieurs tonalités différentes. « Ce serait insupportable, disent-ils, si on distinguait les deux sons supérieurs, mais on ne les entend pas, le son le plus grave les absorbe. » Il reste alors à faire comprendre comment ce qu’on n’entend pas peut produire un bon effet sur l’oreille. En tout cas ce singulier procédé tendrait toujours à donner à l’orgue la résonnance harmonique qu’on cherche inutilement à éviter sur les grands pianos à queue, et qui, à mon sens, est un des plus terribles inconvénients de la sonorité que les perfectionnements modernes ont fait acquérir à cet instrument.

On compte parmi les jeux de mutation, le Gros nazard qui sonne la quinte de la flûte ouverte du huit pieds.
xxxx La grosse tierce qui sonne la quinte du Prestant.
xxxx La onzième de nazard qui est a l’unisson de la doublette.
xxxx La tierce, sonnant la tierce au dessus de la doublette.
xxxx La Fourniture ou Plein jeu qui se compose de trois rangées de tuyaux et de sept rangées de tuyaux aliquotes l’un de l’autre.
xxxx La Cymbale qui diffère de la fourniture seulement en ce que ces tuyaux sont moins gros.
xxxx Le Cornet, jeu très brillant de deux octaves et à cinq rangées de tuyaux ; il ne se joue que dans le dessus.
xxxx Les grandes orgues possèdent trois jeux de cornets, un au positif, un autre au grand orgue et le troisième au clavier de récit.

Parmi les jeux d’Anches signalons seulement :
xxxx 1°. La Bombarde, jeu d’une grande puissance qu’on joue sur un clavier séparé ou à la pédale.
xxxx Son premier tuyau est de seize pieds ; il est à l’unisson du seize pieds ouvert.
xxxx 2°. La Trompette, qui sonne l’unisson du huit pieds et conséquemment l’octave haute de la bombarde.
xxxx 3°. Le Clairon, octave haute de la trompette.
xxxx 4°. Le Cromorne, unisson de la trompette, mais moins éclatant ; il se place toujours au positif.
xxxx 5°. La voix humaine, qui sonne le huit pieds et se place dans le grand orgue.
xxxx 6°. Le Hautbois, qui sonne l’unisson de la trompette.
xxxx Il n’a ordinairement que les octaves supérieures, mais on le complète au moyen du Basson qui garnit les deux autres octaves.

Ces divers jeux imitent assez bien par leur timbre les instruments dont ils portent le nom. Il y a des orgues qui en possèdent beaucoup d’autres tels, que le Cor anglais, le Trombone etc.

Tout orgue doit avoir un registre qui sert aux principaux sons, qui correspond à tout le clavier et que pour cette raison on nomme le Principal.

Le doigté de l’orgue est le même que celui du piano avec cette différence que l’émission des sons étant sur l’orgue moins instantanée on ne peut exécuter des successions aussi rapides que sur le piano, le mécanisme du clavier obligeant d’ailleurs l’organiste à appuyer ses doigts davantage sur chaque touche. Cet instrument possède la faculté de soutenir les sons aussi longtemps qu’on le désire, il est donc par cela même plus propre que tout autre au genre lié, c’est-à-dire à celui dans lequel l’harmonie fait le plus souvent usage des suspensions et prolongations, et du mouvement oblique. Ce qui n’est pas, selon moi, une raison pour le renfermer invariablement dans les limites de ce style. On l’écrit quelquefois sur trois lignes ; les deux supérieures sont pour les mains, la ligne inférieure est pour le clavier des pédales.

L’orgue semble pouvoir, ainsi que le piano et beaucoup mieux que lui, se présenter dans la hiérarchie instrumentale, sous deux faces : comme un instrument adjoint à l’orchestre, ou comme étant lui même un orchestre entier et indépendant. Sans doute il est possible de mêler l’orgue aux divers éléments constitutifs de l’orchestre, on l’a fait même plusieurs fois ; mais c’est étrangement rabaisser ce majestueux instrument que de le réduire à ce rôle secondaire ; il faut en outre reconnaître que sa sonorité plane, égale, uniforme, ne se fond jamais complètement dans les sons diversement caractérisés de l’orchestre, et qu’il semble exister entre ces deux puissances musicales une secrète antipathie. L’orgue et l’orchestre sont Rois tous les deux ; ou plutôt l’un est Empereur et l’autre Pape ; leur mission n’est pas la même, leurs intérêts sont trop vastes et trop divers pour être confondus. Ainsi dans presque toutes les occasions où l’on a voulu opérer ce singulier rapprochement, ou l’orgue dominait l’orchestre de beaucoup, ou l’orchestre ayant été élevé à une puissance démesurée faisait presque disparaître son adversaire.