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applications de la méthode expérimentale.

l’urine refroidie. J’arrivai ainsi, à la suite de mes expériences, à cette proposition générale qui alors n’était pas connue, à savoir qu’à jeun tous les animaux se nourrissent de viande, de sorte que les herbivores ont alors des urines semblables à celles des carnivores.

Il s’agit ici d’un fait particulier bien simple qui permet de suivre facilement l’évolution du raisonnement expérimental. Quand on voit un phénomène qu’on n’a pas l’habitude de voir, il faut toujours se demander à quoi il peut tenir, ou autrement dit, quelle en est la cause prochaine ; alors il se présente à l’esprit une réponse ou une idée qu’il s’agit de soumettre à l’expérience. En voyant l’urine acide chez les lapins, je me suis demandé instinctivement quelle pouvait en être la cause. L’idée expérimentale a consisté dans le rapprochement que mon esprit a fait spontanément entre l’acidité de l’urine chez le lapin, et l’état d’abstinence que je considérai comme une vraie alimentation de carnassier. Le raisonnement inductif que j’ai fait implicitement est le syllogisme suivant : Les urines des carnivores sont acides ; or, les lapins que j’ai sous les yeux ont les urines acides ; donc ils sont carnivores, c’est-à-dire à jeun. C’est ce qu’il fallait établir par l’expérience.

Mais pour prouver que mes lapins à jeun étaient bien des carnivores, il y avait une contre-épreuve à faire. Il fallait réaliser expérimentalement un lapin carnivore en le nourrissant avec de la viande, afin de voir si ses urines seraient alors claires, acides et relativement chargées d’urée comme pendant l’abstinence. C’est pourquoi je fis nourrir des lapins avec du bœuf bouilli