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S’élève une statue au maintien virginal,
Qu’éclaire de ses feux un tremblotant fanal.
Le front est large et pur, le regard est modeste,
Les cheveux sont compris sous un nimbe céleste ;
Le corsage pudique et chastement fermé,
Recouvre un cœur intact qui n’a jamais aimé !
Jamais aimé que Dieu, dans son ardeur mystique,
Jetant comme une flamme au granit du portique,
Car les cœurs embrasés par l’amour du Sauveur
Communiquent partout leur dévorante ardeur.
Ainsi, toi qui, passant à l’entour du vieux porche,
Et regardant l’image aux reflets de sa torche,
Disais, en sifflotant un air voltairien,
Que, pour convertir l’âme, une image n’est rien,
Sache que sous ce front aux paupières baissées,
Il s’agite sans cesse un monde de pensées,
Et celle que tu crois un marbre inanimé,
Pour toi ressent son cœur d’angoisses consumé,
Car, si hideux sois-tu, tu possèdes une âme,
Comme saint Augustin, tu naquis d’une femme,
Et c’est aussi pour toi, sépulcre sans flambeau,
Que le Christ s’est couché dans la nuit du tombeau.
Courbe donc tes genoux en face de la sainte.
Elle a bu comme loi, le calice d’absinthe
Puisque son fier génie, à grands flots survenu,
Des hommes insensés est encor méconnu,
Et parmi les cités obscures de la France
Elle subit l’oubli, cette rude souffrance,
Mais, soumise à son Dieu qui prétend l’éprouver,
Si sa plainte s’élève, oh ! c’est pour le sauver.
Embrasse donc ce sol où son regard se pose.
Du céleste jardin c’est la mystique rose
Et partout où ses yeux voient s’épancher des pleurs,
Elle fait aussitôt naître de douces fleurs.
Salut ! fille céleste à la blanche auréole,
Salut ! lys virginal dont le parfum console,
La Vierge te chérit, et moi je ne sais plus
Si c’est elle ou bien toi qu’adorent les Elus.

À Joseph B.

Une année est passée, une autre va revivre,
Songeur insouciant, toi, tu chantes toujours,
Nous faisant oublier le lourd manteau de givre
Qui des sentiers moussus recouvre le velours.

Sur les chênes flétris tremble la feuille jaune,
Elle résiste à peine à la rage du vent,
Mais la Muse te suit en fidèle amazone,
Et fleurit les chemins où tu vas si souvent.

Quand s’élève ta voix, plus de bois sans verdure,
Le rossignol reprend ses nocturnes accords,
Et mêle sa chanson à l’étrange murmure
Qui, sortant des forêts, fait tressaillir les morts.

Ah ! puisses-tu sans cesse, enfant des chastes muses,
Ranimer dans tes vers un éternel printemps,
Et redire ces mots que les femmes, confuses,
Écoutent résonner dans leurs cœurs palpitants.

La vierge en te lisant s’étonne et se recueille,
Elle regarde au loin les vastes horizons,
Et sous l’ombre des bois tremblants comme la feuille,
Arrache ses secrets à la fleur des gazons.

Si jamais, vers le soir, l’une d’elles, rêveuse,
Marchant à petits pas, rouge, les yeux baissés,
Te venait demander si, pour l’âme amoureuse,
Tu n’as pas de ces chants si doux aux cœurs blessés ;

Ne va pas, ô poète, ému d’un trouble vague,
Boire dans ses beaux yeux le poison de l’amour,
Et lui prenant la main pour admirer sa bague,
Presser de son bras blanc le gracieux contour !

Veille sur ta raison, car la femme est perfide,
Tel qui croit la surprendre est souvent trop bien pris.
Des molles voluptés le poète est avide,
Mais il peut rencontrer la haine ou le mépris.

Si tu redoutes trop de rouvrir la blessure
Qui peut-être jadis a fait saigner ton cœur,
Crains la femme coquette, et crains la fille pure,
Toutes deux ont dans l’âme un prestige vainqueur.

Cherche plutôt des bois les ombres bienfaisantes ;
Si tu sens ton esprit bouillonner et rugir,
Regarde dans les cieux les étoiles luisantes,
Avant que le matin ne commence à rougir.

Transporte tes pensers dans les lointaines sphères,
Laisse aux pâles amants les regrets et les pleurs ;
Songe aux astres heureux où tu verras tes frères,
Les poètes, errer dans des chemins de fleurs.

Mais que dis-je, au moment où ma lyre prudente
T’avertit, doux chanteur, qu’il ne faut pas aimer,
La tienne, en soupirant, parlera à mon âme ardente,
Et tu brûles mon cœur au lieu de le calmer.

La nature toujours t’entraîne vers la femme,
Vers les épais taillis où l’on se perd à deux ;
Ce n’est pas la forêt qui peut, assouvir l’âme,
Ni le chant des oiseaux, ni la splendeur des cieux.

Fais donc, ô mon rêveur, se plaindre sur ta lyre
Les désirs amoureux que Dieu même comprend ;
Redis les mots charmants qu’une sœur nous inspire,
Lorsque, pour l’exalter, le cœur devient plus grand.

Et moi, cœur sans vaillance, à tout orage en butte,
Moi jouteur fatigué qu’ont défait tous les dieux,
Va, je t’applaudirai, si tu vaincs dans la lutte
L’ennemi le plus rude, une fille aux yeux bleus.

Tableau pastoral.

Le printemps a fait fuir les brises de Décembre ;
Je suis assise ici, dans la plus belle chambre,
Dont jamais le décor fut agreste et coquet,
Car je rêve, joyeuse, au milieu d’un bosquet.
Pour tapis, sous mes pieds, j’ai le velours de l’herbe,
Et le ciel d’un bleu pur, forme un plafond superbe,
Sous lequel on n’entend point de chant-attristé,
Puisqu’ici les oiseaux sont tous en liberté !
Dans le verger voisin, bienfaisante ramure,
D’un arbre au front géant, la mobile verdure,
En abritant mon front de l’ardeur du soleil,
Semble, par son murmure, inviter au sommeil,
Pendant qu’un rossignol, sous la feuillée ombreuse,
Sans fatigue, poursuit sa chanson amoureuse.
Tout est beau ! mais mon cœur n’est content qu’à demi,
Car, pensif, près de moi, je voudrais mon ami !
Ce tapis ou les fleurs sont d’azur et de neige
Ne présente, il est vrai, pas de rustique siège,
Mais cet air embaumé rend le cœur plus dispos.
Et le gazon vous offre un moelleux repos !
Dans le lointain j’entends un orgue qui résonne,
Répétant de vieux airs, de sa voix monotone ;
Je l’écoute, pourtant, car les airs surannés
Ont un charme naïf pour nos cœurs étonnés,
Et, par eux, s’étonnant d’une larme qui coule,
Nos anciens souvenirs se réveillent en foule ;
Du passé la mémoire ouvre le demi-jour,
Et l’on songe, rempli de tristesse ou d’amour !
Ah ! quel désir soudain me tourmente et m’oppresse,
De sa pénible étreinte accablant ma jeunesse,
S’il était là, mon Dieu, cet ami que j’attends,
Pour goûter avec moi la beauté du Printemps !

À Louis Guibert.

Non ! tu n’es pas de ceux qui vont, pauvres Lazares,
Se nourrir du festin pour le riche dressé.
De chants pour toi les bois ne furent point avares ;
Je les entends frémir dans ton sein oppressé.

Ne te laisse donc pas dompter par la fortune ;
Élève tes regards vers un ciel toujours bleu,
Et, laissant aux rêveurs les brouillards et la lune,
Fais gronder dans tes vers et la nature et Dieu !

Résurrection.

Quand mon premier amour, dans la nuit de la tombe,
Descendit, emportant le repos de mon cœur,
Comme la lune aux cieux, roucoulante colombe,
Veillait, près du tombeau, ma plaintive douleur.

Mais un nouvel amour, dissipant l’ombre obscure,
Vient, splendide soleil, rayonner dans la nuit ;
Les ténèbres s’en vont, l’atmosphère est plus pure,
Et la lune mourante enfin s’évanouit.

Le Printemps de l’amour.

Lorsqu’un soir de printemps, troublé par un orage,
En un seul moment perd son calme et sa splendeur,
Par un ciel ténébreux, rêvant sous son feuillage,
Penchée, on ne voit pas se désoler la fleur.

Absorbant du soleil la suprême influence,
Tandis qu’il rayonnait dans le firmament pur,
Elle garde à présent la douce souvenance
De la brise embaumée et du limpide azur.

Poète, c’est ainsi qu’il faut ouvrir ton âme
À l’amour, ce soleil qui brille sur nos ans,
Et, dans les sombres nuits, tu reverras sa flamme
Ranimer en ton cœur les trésors du printemps !

Prière.

Le monde extérieur est un rêve terrible,
Un cauchemar étrange où le cœur endormi,
Sans cesser de souffrir, reste comme insensible
Et s’épuise à lutter contre un vague ennemi.

Ouvre donc dans les cieux ton aile bienfaisante,
Ô nuit mystérieuse au fantastique essor,
Cache bien l’univers à mon âme mourante
Et couvre ton manteau de mille étoiles d’or !


DU MÊME AUTEUR :

Dictionnaire mythologique, traduit de l’allemand de Jacobi. — Paris, Didot, 1846.
Étude sur les variations du polythéisme grec. — Paris, Franck, 1853.
Histoire du polythéisme, 1re livraison. — Paris, Franck, 1854.
La couronne de Saint-Étienne, scènes hongroises, du XVe siècle. — Paris, Krabbe, 1854.
Les rêves du Commandeur. — Paris, Krabbe, 1854.
Adorations, poésies. — Paris, Krabbe, 1855.
Mélodies pastorales. — Paris, Taride, 1855.
Poésies nouvelles. — Paris, Vanier, 1857.
Lettre sur la poésie. — Paris, Vanier, 1857.
Le mouvement intellectuel au XIXe siècle. Paris, Vanier, 1858.
Nouvelles Mélodies pastorales. — Paris, Vanier, 1858.
Poésies mystiques. — Paris, Vanier, 1858.
Béranger à Passy. — Genève, 1858.
Voyage dans la vieille France, de Jodocus Sincerus, traduit du latin. — Paris, Vanier, 1859.
Mélodies pastorales, 3e livraison. — Paris, Vanier, 1860
La Lisette de Béranger, avec un beau portrait par Staal. — Paris, Bachelin, 1864.
Notice sur Rodolphe Turecki. — Paris, 1864.
Histoire de la Poésie. — Paris, Dentu, 1864.

Cet ouvrage a été placé, par ordre du maréchal Vaillant, dans les principales bibliothèques de l’Empire, et honoré des souscriptions de S. M. le roi de Suède, le marquis de Laincel, le marquis de Sayve, le duc de Luynes, le sénateur Mérimée, la comtesse de Bryas, le baron du Mast, le comte de Montalembert, le colonel Esménard, le vicomte de Sarcus, M. Ad. Régnier, de l’Institut, le comte de Clervaux, le docteur Delpech, M. Egger, de l’Institut, le major Staaff, M. Frémy, de l’Institut, M. Stephen Liégeard, du Corps législatif, la comtesse d’Agonit, M. Vaïsse, directeur de l’institution des sourds-muets, le docteur Rosenkranz, de Kœnigsberg ; M. Lamé, de l’Institut ; l’abbé Bertheuille, l’abbé Fayet, l’abbé Pont, etc.


saint-denis. — typographie de a. moulin.