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ET VIRGINIE

eu de la vertu, elle n’auroit pas quitté sa propre mere et moi. Pendant que je passe ma vie à penser à elle, elle m’oublie. Je m’afflige, et elle se divertit. Ah ! cette pensée me désespere. Tout travail me déplaît ; toute société m’ennuie. Plût à Dieu que la guerre fût déclarée dans l’Inde ! j’irois y mourir.

« Mon fils, lui répondis-je, le courage qui nous jette dans la mort n’est que le courage d’un instant. Il est souvent excité par les vains applaudissements des hommes. Il en est un plus rare et plus nécessaire qui nous fait supporter chaque jour, sans témoin et sans éloge, les traverses de la vie ; c’est la patience. Elle s’appuie, non sur l’opinion d’autrui ou sur l’impulsion de nos passions, mais sur la volonté de Dieu. La patience est le courage de la vertu. »

« Ah ! s’écria-t-il, je n’ai donc point de vertu ! Tout m’accable et me désespere. — La vertu, repris-je, toujours égale, constante, invariable, n’est pas le partage de l’homme. Au milieu de tant de passions qui nous agitent, notre raison se trouble et s’obscurcit : mais il est des phares où nous pouvons en rallumer le flambeau ; ce sont les lettres.