Page:Berrichon - Jean-Arthur Rimbaud, 1912.djvu/83

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
85
JEAN-ARTHUR RIMBAUD

L’inspiration du poète s’humanise. Il va avoir seize ans. Ses sens s’éveillent ; et, comme ils sont riches de vibrations et très délicats, oubliant la ferveur de républicanisme qui l’a victimé, il les écoute avec joie. La nature, qu’il vient de parcourir en vagabond, l’a, par cet automne, grisé. Son âme, dans cette ivresse, lui paraît plus intéressante que les débats politiques. Il la raconte avec ingénuité, mais non sans orner cette ingénuité d’un ton goguenard et pince-sans-rire, non sans l’accentuer de cette amertume d’un déchirement si spécial qu’on trouvera désormais dans ses œuvres, témoin ce sonnet inédit communiqué par un averti bibliophile, M. Louis Barthou :


LES DOUANIERS


Ceux qui disent : Cré Nom, ceux qui disent macache,
Soldats, marins, débris d’Empire, retraités
Sont nuls, très nuls devant les soldats des traités
Qui tailladent l’azur frontière à grands coups d’hache.

Pipe aux dents, lame en main, profonds, pas embêtés,
Quand l’ombre bave au bois comme un mufle de vache,
Ils s’en vont, amenant leurs dogues à l’attache,
Exercer nuitamment leurs terribles gaietés !

Ils signalent aux lois modernes les faunesses,
Ils empoignent les Fausts et les Diavolos
« Pas de ça, les anciens ! Déposez les ballots ! »