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les vierges de syracuse

un ciel très clair, qui rendait plus flagrants les moindres mouvements de la multitude, devant le tombeau de Timoléon couronné de roses, entre les statues de la Concorde et de l’Abondance dont les visages paisibles souriaient au peuple, on se battait avec rage, avec frénésie. Et il y avait déjà des vides entre les fronts serrés et noirs ; entre les corps tassés et grouillants il y avait, çà et là, la place étroite d’un cadavre…

Depuis qu’Apollonide en était descendu, l’estrade était inoccupée. Tout à coup, on y vit surgir, escortée par Dorcas, la haute stature d’Archimède. Il étendit les bras ; et ce fut comme si l’image de la patrie avait apparu devant la foule. Depuis la mort d’Hiéron et le massacre de la famille royale, l’illustre savant s’était tenu à l’écart dans Ortygie désertée. Il avait vieilli avant qu’on s’en aperçût, et sa barbe, toute d’argent maintenant et qui semblait moins épaisse, formait une auréole lumineuse autour de sa bouche. Dans la pauvreté volontaire de ses vêtements, dans l’auguste simplicité de ses gestes, il évoquait les belles époques de la liberté ; il reposait les yeux de tant de luxe insolent, de tant de débauches éhontées qu’avaient étalés, au mépris des traditions de leur race, le jeune Hiéronyme et les deux princesses. Et, les mains étendues sur la foule subitement calmée, Archimède parla aux Syracusains comme s’ils eussent été ses enfants :