Page:Bibesco - La Question du vers français, 1896, éd3.djvu/24

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en visière ; mais la franchise de son jeu de combat dicte la franchise du nôtre ; et nous procéderons directement, en allant à lui, et en prenant son taureau par les cornes.

« Une erreur généralement répandue dans le public et surtout chez les poètes, — écrit M. Psichari, — c’est qu’il y a en français aujourd’hui un vers de douze syllabes. Les vers de douze syllabes sont, au contraire, une rareté. »

Nous demandons la permission à M. J. Psichari de prendre exactement le contre-pied de son affirmation, qui contient toute une doctrine, et qui nous paraît radicalement fausse. Le point de départ de M. Psichari est une statistique. Sur deux cent cinquante-six vers dont se composent les Pauvres Gens, il n’en retient que quarante-cinq ; sur cent soixante-dix-sept de la Prière pour Tous, il n’en garde que vingt-cinq ; pourquoi ? c’est que les alexandrins proscrits pullulent d’e muets, et que l’e muet n’étant pas prononcé, produit, à chaque instant, par son absence, des alexandrins boiteux et faux.

Nos objections, ou plutôt nos répliques à M. Psichari, sont les suivantes :

1° Les poètes doivent se sentir bien mal à l’aise : ce sont surtout eux qui se trompent, encore bien plus que le public. Ainsi Racine, Chénier, Musset, Lamartine, les poètes les plus, les mieux cadencés de la langue française, ont passé leur vie à se tromper, voire à tromper, à leurrer le public, en lui apprenant à goûter des mesures imparfaites, des rhythmes boiteux, des alexandrins faux ! Ils doivent joliment gémir de leur erreur, de leur péché, dans ces Champs Elyséens où ils ne respirent que mélodie et lumière. Gageons que s’ils revenaient sur terre, ils publieraient une nouvelle édition de leurs œuvres, revue,