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comprenons d’autant moins que M. Psichari est un poète distingué et en possession de tous les procédés de l’école vraie.

À la place de la loi qu’il recommande à nos investigations, en voici une qui est loin d’être aussi énigmatique : c’est tout simplement la nécessité de respecter la syllabe muette (au commencement, au milieu, à la fin du mot), de la laisser vivre, de ne pas lui tordre le cou, de la prononcer, en définitive. Seulement, cette nécessité se présente de deux manières : Ou l’e muet prendra parfois la valeur d’une voyelle, il sera indépendant parce qu’il sera l’âme du sens. Exemples :

 
Je le veux. Mon vouloir doit servir de raison.

Ou il sera subordonné et dépendant. Exemple :

 
Le jour n’est pas plus pur que le fond de mon cœur.

L’exemple suivant présente un mélange, ou plutôt une juxtaposition heureuse des deux types.

 
Et le songe charmant que révèrent nos âmes,
Ils le continueront sans pouvoir le finir.

Dans le premier de ces deux vers, les trois muettes sont, alternativement, des enclitiques ou des proclitiques, c’est-à-dire des syllabes faibles s’appuyant sur les fortes qui précèdent ou celles qui suivent ; dans le second, la muette se suffit et domine. J’ai bien dit : des syllabes faibles, oui ; mais il y a un abîme entre cette syllabe faible et la syllabe zéro de M. Psichari, de même qu’en musique il y a un abîme entre la note jouée ou chantée