Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vingtaine de mille hommes avec douze pièces d’artillerie : sans se laisser intimider par la supériorité numérique de son adversaire, il rangea ses troupes en bataille. S’étant placé à l’avant-garde, il leur adressa une harangue qui les remplit d’ardeur et de courage : il leur dit qu’elles ne devaient pas s’effrayer de la multitude de leurs ennemis; que la victoire était en la main de Dieu; que lui, leur empereur, était le premier qui devait périr ou vaincre; qu’il dépendait d’elles que l’honneur de l’Espagne, de l’Italie et de l’Allemagne ne reçût point d’atteinte en Afrique. Barberousse se confiait non-seulement dans le grand nombre de ses soldats, mais encore dans la fatigue des impériaux, dans la soif qui les dévorait; il commença l’attaque. Après plusieurs heures d’un combat acharné, il fut mis en une déroute complète. Ce qu’il y eut de remarquable dans cette rencontre, c’est que l’armée impériale ne perdit que quelques hommes; du côté des Mores, il y en eut trois à quatre cents de tués. Charles passa la nuit sur le champ de bataille. Le lendemain, à la pointe du jour, il se remit en marche. Barberousse avait espéré défendre Tunis : mais, quand il se présenta devant le château, pour y rentrer, il en trouva les portes fermées; les chrétiens qui y étaient détenus, ayant gagné deux de leurs gardiens, étaient parvenus à se débarrasser de leurs chaînes; alors ils étaient tombés sur la garde turque, l’avaient désarmée et s’étaient rendus maîtres de l’artillerie. Déconcerté par ce coup inattendu, le roi corsaire, suivi des Turcs qui lui étaient restés fidèles, s’enfuit à Bone, d’où Andrea Doria le força de sortir, en s’emparant de cette ville et de sa citadelle. Charles, le 21 juillet, entra sans coup férir dans Tunis, qu’il ne put malheureusement pas sauver du pillage. Son premier acte fut de mettre en liberté tous les chrétiens qui y étaient en esclavage; il n’y en avait pas moins de dix-huit mille à vingt mille. Ceux auxquels le château servait de prison avaient couru un grand danger; avant d’aller livrer bataille à l’empereur, Barberousse avait résolu de les faire mourir; les représentations du renégat Sinan l’empêchèrent seules de donner suite à cette atroce détermination. Charles s’empressa d’informer de la prise de Tunis tous les princes de la chrétienté; il envoya au pape et à l’impératrice des gentilshommes de sa maison chargés de leur rendre un compte plus détaillé de ce grand événement. Il y avait, dans les faubourgs de la ville africaine, un petit monastère de cordeliers; le 25 juillet il y solemnisa la fête de Saint-Jacques.

Quelques jours après le débarquement de l’empereur, le roi détrôné de Tunis, Muley Hassem, était venu dans son camp. Charles le remit en possession de son royaume, à condition qu’il donnerait la liberté à tous les captifs chrétiens qui y existaient, et ne souffrirait jamais qu’ils y fussent maltraités; qu’il y permettrait l’érection d’églises consacrées au culte catholique; que ni lui ni ses successeurs ne réduiraient en captivité des chrétiens sujets de l’empereur ou de son frère le roi Ferdinand; qu’il céderait à l’empereur et à ses successeurs, rois d’Espagne, les villes de Bone, de Biserte et les autres positions maritimes usurpées par Barberousse; qu’il leur céderait de même la Goulette avec un territoire de deux milles de circonférence; qu’il payerait, entre les mains de celui qui aurait la garde de cette forteresse, douze mille ducats d’or annuellement; que lui et ses successeurs délivreraient à perpétuité au roi d’Espagne, le 25 juillet de chaque année, six bons chevaux mores et douze faucons en reconnaissance de passerage; enfin qu’ils ne recevraient dans leurs ports et terres, mais au contraire qu’ils en expulseraient, les corsaires, pirates et écumeurs de mer et les ennemis de l’empereur, quels qu’ils fussent. Ces conditions furent l’objet d’un traité que les deux souverains signèrent le 6 août. Muley Hassem ne s’était pas fait aimer de ses sujets; lorsqu’il prit congé de l’empereur, Charles lui dit : « J’ai conquis ce royaume au prix du sang des miens; tu le dois conserver en gagnant les cœurs des tiens. N’oublie pas les faveurs que tu as reçues, et tâche d’oublier les injures qu’on t’a faites[1] ».

  1. Sandoval, liv. XXII, § XLIV.