Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/436

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de le mettre en liberté, à condition que, si les conférences qui allaient se tenir à Passau n’aboutissaient point à un accord, on aviserait aux secours à lui donner pour qu’il put rentrer en possession de l’électorat de Saxe, mais qu’il demeurerait obligé à observer le traité de Wittemberg, si un arrangement était conclu avec Maurice et ses alliés. Les choses en étaient là lorsque, dans la soirée du 19 mai, Charles reçut la nouvelle que les ennemis s’étaient emparés du château d’Ehrenberger. Ils pouvaient la nuit même arriver à Inspruck; la troupe qui avait été chargée de défendre l’entrée du Tyrol s’était dispersée après sa défaite; il ne fallait pas compter sur les gens du pays, que l’irruption imprévue des confédérés avait frappés de terreur; Charles n’avait autour de lui que les deux compagnies d’hommes d’armes des Pays-Bas, ses archers de corps, le peu d’Espagnols qui formaient la garde du duc Jean-Frédéric, et les gentilshommes de sa maison; il jugea, et ce fut aussi le sentiment du roi, qu’il n’avait pas un instant à perdre pour pourvoir à sa sûreté. Bientôt après les deux monarques quittèrent Inspruck[1], suivis de Jean-Frédéric, à qui il avait été déclaré qu’il était libre sur sa simple parole de ne s’éloigner de la cour qu’avec la permission de l’empereur, ainsi que des ambassadeurs étrangers, et escortés par les hommes d’armes, les archers, les soldats espagnols et les gentilshommes dont il est parlé plus haut. Ayant marché toute la nuit, ils arrivèrent le matin à Sterzing, au pied du Brenner. Ils continuèrent de cheminer ensemble jusqu’au 23 mai : ce jour-là ils se séparèrent, Ferdinand pour se rendre à Passau, Charles se dirigeant vers Villach en Carinthie[2]. Maurice était entré le 20 dans Inspruck. Désespéré de voir échapper sa proie au moment où il se flattait de la saisir, il avait poursuivi le cortége impérial jusqu’à quelques milles de distance; mais celui-ci avait trop d’avance pour qu’il pût l’atteindre, et il était revenu sur ses pas[3]. Tout ce que les personnes attachées à la maison de l’empereur avaient laissé de meubles et d’autres objets dut être livré par les bourgeois, sous peine d’être saccagés, et ce butin se partagea entre les soldats de Maurice. Les chefs s’emparèrent de la petite artillerie de Charles-Quint et de plusieurs pièces de canon qui étaient au duc d’Albe; ils se firent remettre aussi trois fauconneaux appartenants au roi des Romains. Les confédérés quittèrent bientôt après le Tyrol, mais non sans avoir rançonné les paysans, à qui ils enlevèrent leurs chevaux et leur bétail; ils pillèrent, en se retirant, un cloître où étaient les sépultures de plusieurs archiducs d' Autriche[4].

Charles, en ce moment, était hors d’état de se venger de l’audacieuse agression de l’électeur de Saxe[5]. Force lui fut donc de consentir à ce que son frère continuât les négociations qu’il avait entamées avec Maurice; mais il voulut se mettre en mesure de faire face à tous les événements. Il avait depuis peu reçu deux cent mille écus de Naples; il espérait que, par des subsides ou des emprunts, les Pays-Bas et l’Espagne lui fourniraient des secours importants : il ordonna la levée en Allemagne de sept

  1. Les historiens rapportent que Charles était malade lors de son départ; Sismondi va même jusqu’à dire qu’il était au lit, souffrant cruellement de la goutte, et qu’on dut le transporter dans la litière destinée pour son voyage : la lettre du 30 mai, que nous citons plusieurs fois, fait voir que ce sont là des détails controuvés. Nous lisons iiussi, dans une dépêche que l’ambassadeur Pandolfini adressa de Villach à Côme de Médicis, qu’après s’être séparé de son frère, Charles continua son voyage à cheval (cavalcando).
  2. Lettre de Charles à la reine Marie du 30 mai déjà citée.
  3. De Thou, liv. X. — Robertson, t. II, p. 339. — Schmidt, t. VII, p. 394.
  4. Lettres de Ferdinand à Charles-Quint, des 30 mai et 4 juin, dans Lanz, t. III, pp. 209 et 237.
  5. D’après une dépêche de l’ambassadeur Pandolfini à Côme de Médicis, en date du 23 mai, Maurice aurait écrit au roi des Romains que ce qui était arrivé au château d’Ehrenberg devait être attribué aux troupes royales, lesquelles avaient provoqué les siennes (che quello ch’era seguito alla Chiusa procedeva tutto dalla provocatione ch’ havevano fatto i soldati regii che la guardavano alli suoi). On a de la peine à croire que cet ambassadeur ait été bien informé, car c’eût été, de la part de Maurice, le comble de l’impudence que de prétendre qu’il avait été provoqué. Dans sa lettre du 30 mai, Charles dit seulement que l’électeur, écrivant au roi, « prétendait avoir pu faire ce qu’il avait fait à l'Écluse, sans contrevenir aux trèves, attendu qu’elles commençaient seulement le 26. »