Page:Biographie nationale de Belgique - Tome 3.djvu/490

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lectures, il avait les mains jointes; ses yeux étaient fixés, tantôt sur le ciel, tantôt sur un crucifix et une image de la Vierge que l’impératrice avait eue à son lit de mort. Le 20 au matin, il fit un instant sortir de sa chambre toutes les personnes qui s’y trouvaient, l’exception de Quijada, qu’il entretint en confidence de choses dont il voulait que le roi son fils fût informé par lui[1]. Dans la même matinée se présenta à l’habitation impériale l’archevêque de Tolède, fray Bartholomé de Carranza. Ce prélat avait été chargé par le roi Philippe d’une mission auprès de son père; il était arrivé des Pays-Bas à Valladolid le 13 août; différentes affaires l’y avaient retenu. Introduit dans la chambre de l’empereur, il se mit à genoux devant son lit, et lui baisa la main; puis il lui adressa quelques paroles de consolation. Charles désirait que le sacrement de l’eucharistie lui fût administré une seconde fois. Le confesseur objectait que ce serait contre la règle, après que l’empereur avait eu l’extrême-onction; l’archevêque leva ses scrupules. Fray Juan Regla alla chercher le saint sacrement au grand autel de l’église; Charles-Quint le reçut avec un redoublement de ferveur, disant : « Seigneur, Dieu de vérité, qui nous avez rachetés, je remets mon esprit entre vos mains. » Il entendit ensuite la messe. Lorsque le prêtre prononça ces mots : « Agneau de Dieu, qui effacez les péchés du monde, » il se frappa la poitrine avec humilité. Dans l’après midi sa situation empira au point de faire craindre qu’il n’eût plus que quelques minutes à vivre : averti par Quijada, l’archevêque, qui était sorti, s’empressa de revenir; il entretint l’empereur de la mort en des termes propres à l’y préparer; il lut, sur sa demande, le De Profundis, dont il commenta les versets; il lui dit, pour tranquilliser son âme, en lui présentant le crucifix : « Voilà celui qui répond pour tous; il n’y a plus de péché; tout est pardonné. » Outre Quijada, l’archevêque et les deux religieux que nous avons nommés, il y avait en ce moment, dans la chambre de l’auguste moribond, ses deux autres prédicateurs, fray Francisco de Angulo et fray Luis de San Gregorio[2]; un dominicain, fray Pedro de Sotomayor, qui avait accompagné l’archevêque; le secrétaire Gaztelú; don Luis d’Avila, qui était accouru à la première nouvelle du danger que courait la vie de son ancien maître; le comte d’Oropesa, don Francisco de Tolède, son frère, et don Diego de Tolède, son oncle. La reine Marie et la princesse doña Juana avaient fait exprimer à l’empereur le désir de le voir; ce désir il ne l’avait pas accueilli. Le soir Charles-Quint demanda à Quijada s’il avait des chandelles bénites; sur sa réponse affirmative, il les fit allumer; en même temps il pria les religieux de lui lire les litanies et les prières pour les agonisants. A deux heures du matin, le 21 septembre, il sentit que l’instant suprême était venu : il prit une chandelle bénite de la main droite; de la gauche il saisit le crucifix que l’archevêque lui présentait, le porta à sa bouche, le serra deux fois sur sa poitrine, ne cessant de le regarder quand il n’eut plus la force de le tenir et que l’archevêque l’eut repris. A deux heures et demie il expira en disant : « Il est temps (Ya es tiempo) et prononçant le nom de Jésus[3]. Il était âgé de cinquante-huit ans six mois et vingt-cinq jours.

Aussitôt qu’il eut fermé les yeux, toutes les personnes qui étaient dans sa chambre la quittèrent, à l’exception du grand commandeur d’Avila, de Quijada et de Gaztelú : ceux-ci y restèrent jusqu’à l’arrivée de quatre religieux du couvent qu’on avait appelés pour veiller autour du corps. D’Avila était inconsolable; la douleur de Quijada et de Gaztelú n’était pas moins grande. Aucun moment ne fut perdu pour pré-

  1. Il s’agissait surtout des motifs de plainte que le roi de Bohème, Maximilien, donnait à sa femme, et du fils naturel de l’empereur, le jeune Géronimo, qui était à Cuacos en la maison de Quijada, ignorant, ainsi que tout le monde (Quijada excepté) le secret de sa naissance.
  2. Ils avaient remplacé, depuis trois mois, fray Juan de Acaloras et fray Juan de Sant Andrés, nommés prieurs, le premier de Salamanque, le second de Santa Catalina à Talavera.
  3. Retraite et mort, etc., t. I, pp. 322 et suiv. — Miguet, Charles-Quint, etc., pp. 419-445.