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LÉON TOLSTOÏ

sion comme volontaire ; et, dans cet aoul, il vécut des heures inoubliables d’enthousiasme juvénile et poétique.

Il se rappelle surtout une nuit, qu’il a décrite dans son journal d’une façon merveilleuse, incomparable.

« 11 juin 1851, Starï-Iourt.

« La nuit dernière j’ai à peine dormi. Après avoir écrit un peu de mon journal, je me suis mis à prier Dieu. Il m’est impossible de décrire la douceur du sentiment que j’éprouvai en priant. J’ai récité les prières habituelles et ensuite je suis resté encore longtemps à prier. Si l’on s’en tient à la définition de la prière comme demande ou remerciement, je n’ai pas prié. Je désirais quelque chose de très grand, de très beau, mais quoi ? Je ne puis le dire, bien que je sache nettement que je désirais quelque chose. Je voulais me confondre avec l’être infini ; je lui demandais de me pardonner mes fautes. Mais non, je ne le demandais pas, car je sentais que, puisqu’il m’accordait ce moment heureux, il me pardonnait. Je priais et, en même temps, je sentais que je n’avais rien à dire et que je ne pouvais et n’osais pas prier. Je l’ai remercié non par des paroles mais en pensée. En un seul sentiment j’unissais tout : prière et reconnaissance. Tout sentiment de crainte avait complètement disparu. Ni foi, ni espérance, ni amour, je ne pouvais rien séparer du sentiment général. Non, le sentiment que j’ai éprouvé hier c’était l’amour de