Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/70

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dit le Père ce que les livres du droit en disent; mais je sais bien que les nôtres, qui sont les véritables règles des consciences, en parlent comme moi. Il est vrai qu'ils en exceptent un cas auquel ils obligent à restituer. C'est quand on a reçu de l'argent de ceux qui n'ont pas le pouvoir de disposer de leur bien, tels que sont les enfants de famille et les religieux. Car notre grand Molina les en excepte au t. I, De Just. tr. 2, disp. 94, nisi mulier accepisset ab eo qui alienare non potest, ut a religioso et filiofamilias. Car alors il faut leur rendre leur argent. Escobar cite ce passage au tr. I, ex. 8, n. 59, et il confirme la même chose au tr. 3, ex. I, n. 23.

Mon Révérend Père, lui dis-je, je vois les religieux mieux traités en cela que les autres. Point du tout, dit le Père; n'en fait-on pas autant pour tous les mineurs généralement, au nombre desquels les religieux sont toute leur vie? Il est juste de les excepter. Mais à l'égard de tous les autres, on n'est point obligé de leur rendre ce qu'on reçoit d'eux pour une mauvaise action. Et Lessius le prouve amplement au I. 2, De Just., c. 14, d. 8, n. 52. Car, dit-il, une méchante action peut être estimée pour de l'argent, en considérant l'avantage qu'en reçoit celui qui la fait faire, et la peine qu'y prend celui qui l'exécute; et c'est pourquoi on n'est point obligé à restituer ce qu'on reçoit pour la faire, de quelque nature qu'elle soit, homicide, sentence injuste, action sale (car ce sont les exemples dont il se sert dans toute cette matière), si ce n'est qu'on eût reçu de ceux qui n'ont pas le pouvoir de disposer de leur bien. Vous direz peut-être que celui qui reçoit de l'argent pour un méchant coup, pèche, et qu'ainsi il ne peut ni le prendre ni le retenir. Mais je réponds qu'après que la chose est exécutée, il n'y a plus aucun péché ni à payer, ni à en recevoir le payement. Notre grand Filiutius entre plus encore dans le détail de la pratique. Car il marque qu'on est obligé en conscience de payer différemment les actions de cette sorte, selon les différentes conditions des personnes qui les commettent, et que les unes valent plus que les autres. C'est ce qu'il établit sur des solides raisons, au tr. 31, c. 9, n. 231: Occultoe fornicarioe debetur pretium in conscientia, et multo majore ratione, quam publicoe. Copia enim quam occulta facit mulier sui corporis, multo plus valet quam ea quam publica facit meretrix; nec ulla est lex positiva quoe reddat eam incapacem pretii. Idem dicendum de pretio promisso virgini, conjugatoe, moniali, et cuicumque alii. Est enim omnium eadem ratio,

Il me fit voir ensuite, dans ses auteurs, des choses de cette nature si infâmes, que je n'oserais les rapporter, et dont il aurait eu horreur lui-même (car il est bon homme), sans le respect qu'il a pour ses Pères, qui lui fait recevoir avec vénération tout ce qui vient de leur part. Je me taisais cependant, moins par le dessein de l'engager à continuer cette matière, que par la surprise de voir des livres de religieux pleins de décisions si horribles, si injustes et si extravagantes tout ensemble. Il poursuivit donc en liberté son discours, dont la conclusion fut ainsi. C'est pour cela, dit-il, que notre illustre Molina (je crois qu'après cela vous serez content) décide ainsi cette question:

Quand on a reçu de l'argent pour faire une méchante action, est-on obligé à le rendre? Il faut distinguer, dit ce grand homme; si on n'a pas fait l'action pour laquelle on a été payé, il faut rendre l'argent; mais si on l'a faite, on n'y est point obligé: si non fecit hoc malum, tenetur restituere; secus, si fecit. C'est ce qu'Escobar rapporte au tr. 3, ex. 2, n. 138.

Voilà quelques-uns de nos principes touchant la restitution. Vous en avez bien appris aujourd'hui, je veux voir maintenant comment vous en aurez profité. Répondez-moi donc. Un juge qui a reçu de l'argent d'une des parties pour rendre un jugement en sa faveur est-il obligé à le rendre? Vous venez de me dire que non, mon Père. Je m'en doutais bien,