Page:Blaise Pascal - Les Provinciales.djvu/71

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dit-il; vous l'ai-je dit généralement? je vous ai dit qu'il n'est pas obligé de rendre, s'il a fait gagner le procès à celui qui n'a pas bon droit. Mais quand on a bon droit, voulez-vous qu'on achète encore le gain de sa cause, qui est dû légitimement? Vous n'avez pas de raison. Ne comprenez-vous pas que le juge doit la justice, et qu'ainsi il ne la peut pas vendre; mais qu'il ne doit pas l'injustice, et qu'ainsi il peut en recevoir de l'argent? Aussi tous nos principaux auteurs, comme Molina, disp. 94 et 99; Reginaldus, l. 10, n. 184, 185 et 178; Filiutius, tr. 31, n. 220 et 228; Escobar tr. 3, ex. I, n. 21 et 23; Lessius, Lib. 2, c. 14, d. 8, n. 52, enseignent tous uniformément: Qu'un juge est bien obligé de rendre ce qu'il a reçu pour faire justice, si ce n'est qu'on le lui eût donné par libéralité; mais qu'il n'est jamais obligé à rendre ce qu'il a reçu d'un homme en faveur duquel il a rendu un arrêt injuste.

Je fus tout interdit par cette fantasque décision; et, pendant que j'en considérais les pernicieuses conséquences, le Père me préparait une autre question, et me dit: Répondez donc une autre fois avec plus de circonspection. Je vous demande maintenant: Un homme qui se mêle de deviner est-il obligé de rendre l'argent qu'il a gagné par cet exercice? Ce qu'il vous plaira, mon Révérend Père, lui dis-je. Comment, ce qu'il me plaira! Vraiment vous êtes admirable! Il semble, de la façon que vous parlez, que la vérité dépende de notre volonté. Je vois bien que vous ne trouveriez jamais celle-ci de vous-même. Voyez donc résoudre cette difficulté-là à Sanchez; mais aussi c'est Sanchez. Premièrement il distingue en sa Som., l. 2, c. 38, n. 94, 95 et 96: Si ce devin ne s'est servi que de l'astrologie et des autres moyens naturels, ou s'il a employé l'art diabolique: car il dit qu'il est obligé de restituer en un cas, et non pas en l'autre. Diriez-vous bien maintenant auquel? Il n'y a pas là de difficulté, lui dis-je. Je vois bien, répliqua-t-il, ce que vous voulez dire. Vous croyez qu'il doit restituer au cas qu'il se soit servi de l'entremise des démons? Mais vous n'y entendez rien; c'est tout au contraire. Voici la résolution de Sanchez, au même lieu: Si ce devin n'a pris la peine et le soin de savoir, par le moyen du diable, ce qui ne se pouvait savoir autrement, si nullam operam apposuit ut arte diaboli id sciret, il faut qu'il restitue; mais s'il en a pris la peine, il n'y est point obligé. Et d'où vient cela, mon Père, Ne l'entendez-vous pas? me dit-il. C'est parce qu'on peut bien deviner par l'art du diable, au lieu que l'astrologie est un moyen faux. Mais, mon Père, si le diable ne répond pas à la vérité car il n'est guère plus véritable que l'astrologie, il faudra donc que le devin restitue par la même raison? Non pas toujours, me dit-il. Distinguo, dit Sanchez sur cela. Car si le devin est ignorant en l'art diabolique, si sit artis diabolicae ignarus, il est obligé à restituer; mais s'il est habile sorcier, et qu'il ait fait ce qui est en lui pour savoir la vérité, il n'y est point obligé; car alors la diligence d'un tel sorcier peut être estimée pour de l'argent: diligentia a mago apposita est pretio aestimabilis. Cela est de bon sens, mon Père, lui dis-je: car voilà le moyen d'engager les sorciers à se rendre savants et experts en leur art, par l'espérance de gagner du bien légitimement, selon vos maximes, en servant fidèlement le public, je crois que vous raillez, dit le Père; cela n'est pas bien: car si vous parliez ainsi en des lieux où vous ne fussiez pas connu, il pourrait se trouver des gens qui prendraient mal vos discours, et qui vous reprocheraient de tourner les choses de la religion en raillerie. Je me défendrais facilement de ce reproche, mon Père; car je crois que, si on prend la peine d'examiner le véritable sens de mes paroles, on n'en trouvera aucune qui ne marque parfaitement le contraire, et peut-être s'offrira-t-il un jour, dans nos entretiens, l'occasion de le faire amplement paraître. Ho! Ho! dit le Père,