Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/107

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Il ne faut donc pas s’étonner de la joie que produisit à Londres la nomination d’un semblable ambassadeur. M. de Talleyrand était, pour l’Angleterre, un jouet et un instrument. Eût-il été autre chose, les Anglais le connaissaient trop pour le craindre.

Fouché, qui avait déployé toute l’audace du mal, en avait eu, du moins, tout le génie. M. de Talleyrand, au contraire, était un esprit médiocre. Seulement, il avait cet avantage qu’il connaissait toutes les formes et tous les degrés de la bassesse de l’homme, l’ayant expérimentée sur lui-même. S’il faisait des actions viles, c’était tantôt avec une légèreté moqueuse, tantôt avec des airs méprisants, toujours avec l’aisance d’un gentilhomme. Il eût volontiers fait passer la vertu pour une preuve de mauvaise éducation, pour une marque de rôture ; et il était regardé comme le protecteur de chacun des pouvoirs auxquels il s’était livré tant il apportait de fatuité dans ses trahisons et savait donner d’importance à son déshonneur ! Quelques bons mots, popularisés par ses courtisans, quelques méchancetés heureuses, lui avaient acquis une réputation de salon, qui effrayait. On ne songeait pas qu’on redoutait en lui non-seulement l’esprit qu’il avait, mais encore l’esprit qu’on lui avait supposé. Il parlait peu lorsqu’il voulait poser, avait l’art de faire attendre son avis, et le donnait avec une concision étudiée, laissant croire ainsi qu’il pensait beaucoup. Il n’était pas jusqu’aux dehors de cet homme qui ne profitassent au mensonge de son rôle. Quoiqu’il fût pied-bot comme lord Byron, il y avait dans toute sa personne une sorte de grâce impertinente que nul ne