Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 2.djvu/487

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à la tribune, ses souvenirs personnels et son expérience de vieillard.

Mais la partie importante du discours de M. Thiers était à peine abordée dans celui de M. de Lafayette, bien que cet arrêt prononcé contre la nationalité polonaise fut une donnée politique sans fondement et sans grandeur. En montrant la Pologne dépourvue de frontières, M. Thiers n’avait pas pris garde qu’il la montrait, non point telle que l’avait voulue la nature, mais telle que l’avaient faite des combinaisons perfides et le sacrilège abus de la force. Est-ce que, de la mer Noire au golfe de Livonie, de Kherson à Riga, le Dnieper, continué par la Dwina, ne tracerait pas une ligne de frontières capable de protéger la Pologne ressuscitée ? Nul doute que la Pologne, constituée comme elle aurait-dû l’être, avec deux grands fleuves pour limites, et s’appuyant au littoral de la Baltique, ne fut une barrière contre la Russie, et ne l’empêchât de déborder sur l’Occident. Napoléon l’avait bien compris ; et ne s’arrêtant pas à cette petite idée que la Pologne ne serait jamais, à l’égard de la France, qu’une avant-garde trop éloignée du corps de bataille, il avait mis au nombre des projets les plus chers à son ambition celui de créer une autre France sur les bords de la Vistule, France assez forte pour résister par elle-même et pour attendre. Et s’il n’avait pas réalisé ce plan à Tilsitt, c’est qu’il nourrissait déjà au fond de sa grande âme le dessein de l’aller réaliser à Moscou. Quant à la république, elle n’avait pas eu trop de ses quatorze armées pour vivre malgré l’Europe. Le crime de Frédéric, de Catherine et de Kaunitz n’a-