Page:Blanc - Histoire de dix ans, tome 3.djvu/60

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nus s’ajouter les désastres d’une concurrence intérieure poussée jusqu’à ses dernières limites. Quelques fabricants continuèrent à s’enrichir mais la plupart, voyant diminuer leurs bénéfices, rejetèrent leurs pertes sur les chefs d’atelier, qui firent porter aux compagnons une partie du fardeau qui les accablait. De quatre à six francs, le salaire de l’ouvrier intelligent et laborieux tomba insensiblement à quarante, trente-cinq, vingt-cinq sols ; en novembre 1831 l’ouvrier employé à la fabrication des étoffes unies ne gagnait plus que 18 sous pour un travail de 18 heures par jour. Ainsi l’oppression avait descendu tous les degrés de l’échelle industrielle. Quand ils se virent disputer jusqu’au pain de leurs femmes et de leurs enfants, les malheureux compagnons se mirent à pousser des cris de détresse. La situation des chefs d’atelier eux-mêmes était devenue cruelle ; l’abaissement du prix des façons ne leur permettait plus de supporter la charge d’un loyer élevé et les pertes résultant, soit de nombreux chômages, soit du montage, trop souvent renouvelé, des métiers. La plainte devint générale ; chefs d’atelier et compagnons associèrent leurs douleurs ; et du fond de ce quartier de la misère appelé la Croix Rousse on entendit s’élever une clameur confuse d’abord, mais bientôt solennelle, formidable, immense.

Lyon avait depuis quelque temps pour préfet un homme habile à flatter et à manier les passions populaires. M. Bouvier-Dumolard comprit tout de suite qu’il n’y avait pas de milieu possible, au point où en étaient les choses, entre exterminer la popu-