Page:Blanc - Histoire de la révolution française, 1878, tome 1.djvu/53

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planter quand Luther passa. « Donne, dit le voyageur au paysan, que je le mette en terre. Et puisse, comme ses branches, croître ma doctrine ! » « L’arbre a grandi, s’écrie, en rappelant le fait, un auteur moderne, un fervent catholique, l’arbre a grandi ; et la doctrine, qu’est-elle devenue[1] ? » La doctrine ? vous la retrouverez, condamnée à son tour par les grandes âmes et ensevelie à moitié sous les ruines qu’elle a faites. Mais de ces ruines entassées, si la justice enfin l’emporte, les générations actives feront sortir des constructions toutes neuves et d’une immortelle beauté.

Le 16 avril, Luther entrait dans Worms et allait descendre à Thôtel des Chevaliers de Rhodes. La ville entière s’y porta en tumulte pour voir le monstre, dit Pallavicini, monstre de sagesse ou d’iniquité[2] . Lui plein d’émotion, mais intrépide, il dit, en sautant à bas de son char : « Dieu sera pour moi.[3] » Cependant, quand il se trouva seul avec ses pensées , et qu’il songea devant quelle assemblée de personnages, imposants et terribles, il allait rendre compte de tant de choses qu’il avait osées, du principe d’autorité avili, des règles anciennes de la conscience changées, et de ce prochain, de cet inévitable remuement de peuples, sa gloire ou son crime, il tomba dans le trouble et se mit à prier avec angoisse. Devant les princes réunis, devant Charles-Quint, Luther montra une indécision qui surprit, et dans laquelle historiens catholiques et historiens protestants ont eu tort de voir, les uns une admirable modestie, les autres l’absence de foi et la peur. La vérité est que, dans la première audience, Luther parut hésiter et demanda du temps pour réfléchir[4] . On lui accorda jusqu’au lendemain. Mais Charles-Quint se prit ; à dédaigner un homme qui ne le bravait pas. Il avait

  1. Audin, Hist. de Luther, t. I, p. 312.
  2. « Tota civitas sollicite canfluxit. quo monstrum spectaret seu sapientiae, « seu nequitue» Pallavicini,Hist. conc. Trid.,t. I, pars I, lib. I, cap. XXVI.
  3. « Deus pro mes tabit ! » Pallavicini, Hist. conc. Trid., t.I pars I, lib. I, cap. XXVI.
  4. Acta recerendi patris Martini Lutheri, corom Cœsarea maje tate, etc. in comiliis principum Wormatiœ. Omn. oper. Lutheri, t. II, p. 412, B.