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DU TRAVAIL.

nature vulgaire, s’il en faut juger par les circonstances du procès. « Je vais te conter de mes idées, disait-elle un jour à son amant. Étant plus jeune, je travaillais à Saint-Maur ; et, le soir, quand il faisait beau, je m’en allais seule dans les champs, près de la voûte Saint-Maur, dans un lieu charmant, où j’étais entourée de verdure et de fleurs. J’y ai pleuré bien des fois, pour des chimères que je me créais. Une pièce intitulée Kettli, que j’avais vue au gymnase, m’avait troublée. Il y a dans cette pièce une femme qui aime bien ; et moi, dans ma solitude, j’aimais, comme cette femme, un être surnaturel que je ne connaissais pas, que je ne voyais même pas. Je lui parlais, cependant ; je croyais le voir près de moi ; il dormait à mes côtés. Puis, j’allais chercher des fleurs, que je répandais autour de lui, et je disais bien bas : il est là, il m’est fidèle ! Oh oui, j’aimais bien, et je pleurais ; et j’étais heureuse par ces idées que je me faisais, car j’allais dans cet endroit là tous les jours. »

Quelle profondeur de sentiment ! Que d’idéal ! Quel touchant mélange de passion et de rêverie ! Quel fonds de douce tristesse ! Mais Cœlina Bronn était vouée à la misère : son âme s’y est bientôt avilie et consumée. Elle a cherché dans l’ivresse de honteux étourdissements, un fatal délire ; et enfin, trouvant la vie trop pesante, elle a dit à son amant :