Page:Boccace - Décaméron.djvu/141

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contents, puisqu’aucun remède ne s’était trouvé pour sa guérison, bien que cela les fâchait beaucoup, s’il fallait en venir, ce qu’ils craignaient, à devoir donner la Jeannette pour épouse à leur fils. Le médecin parti, ils s’en allèrent donc vers le malade, et la dame lui dit ainsi : « — Mon fils, je n’aurais jamais cru que tu m’aurais caché aucun de tes désirs, et surtout que je te verrais mourir pour ne point avoir obtenu ce que tu désirais ; pour ce que tu devais être certain et que tu dois l’être, qu’il n’y a nulle chose que je puisse faire pour te contenter, même quand elle serait moins qu’honnête, que je ne la fasse par moi-même. Mais puisque tu as fait ainsi, il est advenu que Dieu a eu plus de pitié de toi que toi-même, et afin que tu ne meures pas de cette maladie, il m’a montré la cause de ton mal, laquelle n’est autre qu’un très grand amour que tu portes à quelque jeune fille, quelle qu’elle soit. Et en vérité, tu n’aurais pas dû avoir honte de le déclarer, pour ce que ton âge le requiert, et si tu n’étais point amoureux, je t’estimerais moins. Donc, mon fils, ne te cache pas de moi, mais découvre-moi sans crainte tout ton désir, et dépouille la mélancolie et la pensée que tu as et dont vient cette maladie ; reprends courage et sois bien certain qu’il n’y aura rien de ce que tu m’imposeras pour te satisfaire, que je ne fasse selon mon pouvoir, en femme qui t’aime plus que ma vie. Chasse la honte et la peur, et dis-moi si je puis aider ton amour en quelque chose, et si tu ne trouves pas que je mette tout mon soin à cela, et que je le mène à bonne fin, aie-moi pour la plus cruelle mère qui aura jamais enfanté un fils. — »

« En entendant les paroles de sa mère, le jeune homme rougit tout d’abord, puis pensant en lui-même que personne autre ne pourrait mieux qu’elle satisfaire son plaisir, ayant chassé toute vergogne, il lui dit ainsi : « — Madame, nulle autre chose ne m’a fait tenir mon amour caché, que de m’être aperçu, à propos d’un grand nombre de gens, que, devenus vieux, ils ne veulent plus se souvenir d’avoir été jeunes. Mais puisque je vous vois bien disposée en cela, non-seulement je ne nierai pas ce dont vous vous êtes aperçue, mais encore je vous dirai de qui je suis amoureux, à la condition que l’effet suivra votre promesse selon ce que vous pourrez, et ainsi vous pourrez m’avoir bien portant. — » À quoi la dame — se fiant trop à ce qui ne devait pas arriver en la forme qu’elle arrangeait déjà en elle-même — répondit généreusement qu’il lui découvrît sans crainte tout son désir, car sans aucun retard elle ferait de façon qu’il eût ce qu’il souhaitait : « — Madame — dit alors le jeune homme — la haute beauté et les louables