Page:Boccace - Décaméron.djvu/215

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pour le rendre joyeux, si ce n’est Tedaldo, lequel, puisque vous ne l’avez pas reconnu bien que vous l’ayiez eu continuellement avec vous, je veux vous montrer. — » Et ayant rejeté sa robe et tous ses habits de pèlerin, il resta avec une jupe de soie verte. Chacun l’ayant regardé, non sans grandissime étonnement, on mit longtemps à le reconnaître avant de se risquer à croire que ce fût lui. Ce que voyant Tedaldo, il se mit à raconter beaucoup de choses concernant leur parenté et qui étaient advenues entre eux, ainsi que sur ses propres aventures. Pour quoi ses frères et les autres hommes, remplis de larmes d’allégresse, coururent l’embrasser, et les dames en firent ensuite autant, de même que les parents et les non parents, excepté madame Ermellina. Ce que voyant Aldobrandino, il dit : « — Qu’est-ce que cela, Ermellina ? Pourquoi ne fais-tu pas fête à Tedaldo comme les autres dames ? — » À quoi, tous l’entendant, la dame répondit : « — Il n’y en a aucun ici qui lui aie fait et lui fasse plus volontiers fête, si je considère que c’est par lui que je t’ai retrouvé ; mais les paroles déshonnêtes qui ont été dites pendant les jours que nous pleurions celui que nous croyions être Tedaldo, m’en font abstenir. — » À quoi Aldobrandino dit : « — Va toujours, crois-tu que je croie aux mauvaises langues ? En poursuivant mon salut, il a trop bien montré que cela était faux, pour que je le croie jamais ; lève-toi vite, et va l’embrasser. — » La dame qui ne désirait rien autre, ne fut pas lente à obéir en cela à son mari ; pour quoi, s’étant levée, elle l’embrassa comme les autres avaient fait, et lui fit fête. Cette générosité d’Aldobrandino plut beaucoup aux frères de Tedaldo, ainsi qu’à tous les hommes et à toutes les femmes qui étaient là, et tout ressentiment, qui aurait pu naître dans les esprits de quelques-uns par les paroles qui avaient été précédemment dites, fut effacé. Chacun ayant donc fêté Tedaldo, il arracha lui-même les vêtements noirs que portaient ses frères, et les habits couleur sombre de ses sœurs et belles-sœurs, et ordonna qu’on leur apportât sur-le-champ d’autres vêtements. Quand ils en furent revêtus, on fit force ballets, chansons et autres amusements ; pour quoi le festin, qui avait eu un commencement silencieux, eut une fin bruyante. Et avec une très grande allégresse ils s’en allèrent tous tant qu’ils étaient à la maison de Tedaldo, où ils soupèrent le soir ; et ils continuèrent la fête de cette façon pendant plusieurs jours encore.

« Les Florentins regardèrent longtemps Tedaldo comme un homme ressuscité et comme une chose merveilleuse ; et à beaucoup de gens, même à ses frères, il était resté en l’esprit certain doute si c’était lui ou non ; ils ne le croyaient pas encore pleinement, et ils ne l’auraient peut-être jamais