Page:Boccace - Décaméron.djvu/501

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de vrai, vous aurez en moi un bon et fidèle compagnon qui vous fera honneur. Tu vois d’ores et déjà comme je suis bel homme et comme mes jambes sont solides sous moi ; j’ai une figure qui paraît fraîche comme une rose, et en outre je suis docteur en médecine, et vous n’en avez, je crois, aucun parmi vous. Je sais nombre de belles choses, de belles chansons, et je veux t’en dire une. — » Et sur ce, il se mit à chanter.

« Bruno avait si grande envie de rire, qu’il en étouffait ; pourtant il se retint. La chanson finie, le maître dit : « — Que t’en semble ? — » Bruno dit : « — Pour sûr, les cithares en tiges de blé noir ne gagneraient point avec vous, tellement vous chantez fort et si majestueusement. — » Le maître dit : « — Je te dis que tu ne l’aurais jamais cru, si tu ne m’avais pas entendu. — » « — Pour sûr, vous dites vrai, — » dit Bruno. Le maître dit : « — J’en sais encore bien d’autres ; mais laissons cela pour le moment. Tel que tu me vois, mon père fut gentilhomme, bien qu’il habitât au village, et d’un autre côté j’appartiens par ma mère aux Vallecchio. Comme tu as pu le voir, j’ai bien les plus beaux livres et la plus belle garde-robe qu’aucun médecin de Florence. Sur ma foi en Dieu, j’ai une robe qui, tout compté, m’a bien coûté près de cent livres de bogatins, il y a déjà plus de dix ans ; pour quoi, je te prie le plus que je peux, de faire en sorte que je sois de votre compagnie, et sur ma foi, si tu le fais, tu peux tomber malade quand tu voudras, jamais je ne te demanderai un denier pour te soigner. — » Bruno, entendant cela, et le maître lui paraissant plus que jamais un énorme niais, il dit : « — Maître, faites un peu plus de lumière de ce côté, et ne vous impatientez pas jusqu’à ce que j’aie fini de faire les queues à ces rats, et puis je vous répondrai. — »

« Les queues finies, Bruno, feignant d’être fort ennuyé de ce qu’on lui demandait, dit : « — Mon maître, vous feriez de grandes choses pour moi, je le reconnais ; mais cependant celle que vous me demandez, bien qu’elle soit petite eu égard à la grandeur de votre cervelle, est très grande pour moi, et je ne connais personne au monde pour qui je la ferais, le pouvant si je ne la faisais pas pour vous, tant pour ce que je vous aime comme il convient, que pour vos paroles, lesquelles sont si remplies de bon sens qu’elles feraient non moins sortir les bigotes d’une paire de bottes que moi de ma résolution ; et plus je vous fréquente, plus vous me semblez sage. Et je vous dis encore ceci, que si je ne vous voulais pas du bien pour autre chose, je vous en voudrais pour ce que je vois que vous êtes énamouré d’une chose aussi belle que vous le dites. Mais je dois