Page:Boccace - Décaméron.djvu/578

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chevalier ; et tous les autres, qui pleuraient de pitié, le louèrent beaucoup de cette action, et il en fut approuvé par quiconque l’entendit. La dame fut reçue chez elle avec une merveilleuse fête et fut regardée longtemps avec admiration par les Bolonais quasi comme une ressuscitée. Quant à messer Gentile, il vécut constamment ami de Niccoluccio et de ses parents, ainsi que de ceux de la dame.

« Que direz-vous donc, ici, mes bénignes dames ? Estimerez-vous que l’action d’un roi, qui a donné le sceptre et la couronne ; d’un abbé qui a, sans qu’il lui en ait coûté rien, réconcilié un malfaiteur avec le pape ; ou d’un vieillard qui a offert sa gorge au couteau de son ennemi, puisse égaler l’action de messer Gentile, lequel, jeune et ardent, et croyant avec un juste titre à la possession de ce que la sottise d’autrui avait repoussé et que sa bonne fortune lui avait fait recueillir, non seulement tempéra honnêtement son ardeur, mais restitua libéralement ce qu’il avait longtemps désiré et cherché à dérober ? Certes, aucune des actions généreuses déjà racontées ne me paraît égaler celle-là. — »



NOUVELLE V


Madame Dianora demande à messer Ansaldo un jardin aussi beau en janvier qu’au mois de mai. Messer Ansaldo, avec l’aide d’un nécromancien, le lui donne. Son mari lui accorde la permission de se mettre à la disposition de messer Ansaldo. Celui-ci, ayant appris la générosité du mari, la relève de sa promesse, et de son côté, le nécromancien, sans rien vouloir de lui, tient messer Ansaldo pour quitte.


Chacun dans la joyeuse compagnie avait porté les louanges de messer Gentile jusqu’aux nues, quand le roi ordonna à Emilia de poursuivre ; celle-ci, quasi désireuse de parler, commença ainsi hardiment, « — Délicates dames, nul ne pourrait dire avec raison que messer Gentile n’a pas magnifiquement agi ; mais si l’on voulait dire qu’on ne peut pas agir plus magnifiquement encore, il ne serait pas difficile à montrer que cela se peut ; c’est ce que je prétends vous raconter dans ma petite nouvelle.

« Dans le Frioul, pays, quoique froid, égayé de belles montagnes, de nombreuses rivières et de claires sources, est une ville nommée Udine, dans laquelle fut jadis une belle et noble dame, appelée madame Dianora et femme d’un certain Gilberto, homme très riche, fort plaisant et de bonne mine. Le mérite de cette dame lui valut d’être souverainement aimée par un noble et grand baron, lequel avait nom messer Ansaldo Cradense, homme de grande entreprise et