Page:Bodin - Les Six Livres de la République, 1576.djvu/714

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Duc d’Urbin avec bien peu de gens ramassez de toutes pieces, fist teste, & resista fort & ferme à une puissante armee, conduite par trois capitai
nes en chef, qui ne tenoyent rien l’un de l’autre : asçavoir Rause Vitelli,
 & Laurens de Medicis : car mesme Leon l’historien escript, que les peuples d’Afrique tiennent pour maxime indubitable, que le prince ores
 qu’il soit foible, defera tousjours l’armee plus puissante où il y a deux
 chefs. Et de fait tandis que le Roy de Lacedemonne Cleomenes fut seul
 en puissance souveraine, il eut de grandes, & belles victoires, & ne fut 
onques vaincu : mais apres avoir rappellé le Roy qui estoit banni, pour 
luy communiquer sa puissance, tost apres il fut defait, & ruiné. Et pour
 cette cause, Aristide le juste estant esleu capitaine avec Miltiade, pour
 commander[1] à l’armee chacun son jour, (comme faisoyent aussi les consuls Romains) donna toute sa puissance à son compagnon, qui empor
ta la victoire sus les Perses. Il y a mil exemples pareils, qui nous monstrent
 evidamment la necessité d’avoir un chef, non seulement en guerre, où
 le danger est plus grand, ains aussi dobeir à vn prince fouuerain en vne
République, car tout ainfi quel armee eft mal conduite, & le plus fou-
uent defoite, qui a plufieurs generaux-.aufli eft la Republique quia plu¬
fieurs feigneurs : foit pour la diuifion, foit pour la diuerfité d’opinions,
foitpour la diminution de puiflance donnee. à plufieurs, foit pour la
difficulté de s’accorder,ôc refeudre, foit pource queles fugets ne fçauéc
à qui obeinfoit pou r euenter les chofes qui doiuent eftre fecrettes, foit
pour le tout enfemble.En quoy plufieurs s’abufent, qui penfent que la
feigneurie Ariftocratique eft meilleure,dautât que plufieurs feigneurs
ont plus de iugemét,de fagefle,de confeil, qu’vn feuhçarily a bien dif¬
férence du confeil au commandementtle confeil de plufieurs bons cer-
ueaux peut eftre meilleur qu’vn: comme Ion dit que plufieurs voyent
mieux que ne fait vn feul : mais pour refoudre,pour conclure, pour co-
mander, vn le fera toufiours mieux que plufieurs. Ioint aufli que l’am¬
bition eft fi naturelle entre les feigneurs égaux en puiflance, qu’il y a tel
qui aimeroit mieux voir perirla Republique, que recognoiftre plus fa¬
ge que foy. les autres le cognoiflent bien,mais la honteïes empefche de
changer d’opinion, craignans perdre vn feul point de leur réputation:
de forte qu’il eft neceflaire qu’il y ait vn prince fouuerain, qui ait puif*
fonce dereioudre, ôc decider les aduis du cofeil.Combien qu il eflini-
poflible que la Republique qui n’a qu’vn corps^ayt plufieurs teftes, co¬
me difoit Tybere l’Empereurau Senat:autrement ce n eft pas vn corps,
ains vn môftre hideux,& difforme:Mais on dit, que les nouueaux prin¬
ces cherchétlcs nouueautez:celafe peut dire de quelques vns,qui pour
foire congnoiftre leur puiflance,font des loix à propos, ôc fans propos,
fi eft-cc toutesfois que cela eft encores plus frequent és eftats populai¬
res,ôc Ariftocratiques : caries nouueaux Magiftrats, fi fouuent renou-
uellez, ôc qui tranchent des Roys en ces Republiques la, feroyent bienmarris

  1. 8. Plutar in Aristide.