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Page:Boileau -Oeuvres complètes, tome 3 - ed. Garnier-1870.djvu/104

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vent mettre en chant les expressions vraiment sublimes et courageuses. [1] C’est ce que je lui représentai, quand il me déclara sou engagement ; et il m’avoua que j’avois raison ; mais il étoit trop avancé pour reculer. Il commença dès lors en effet un opéra, dont le sujet étoit la chute de Phaéton. [2] Il en fit même quelques vers qu’il récita au roi, qui en parut content. Mais, comme M. Racine n’entreprenoit cet ouvrage qu’à regret, il me témoigna résolument qu’il ne l’achèveroit point que je n’y travaillasse avec lui, et me déclara avant tout qu’il falloit que j’en composasse le prologue. J’eus beau lui représenter mon peu de talent pour ces sortes d’ouvrages, et que je n’avois jamais fait de vers d’amourette, il persista dans sa résolution, et me dit qu’il me le feroit ordonner par le roi. Je songeai donc en moi-même à voir de quoi je serois capable, en cas que je fusse absolument obligé de travailler à un ouvrage si opposé à mon génie et à mon inclination. Ainsi, pour m’essayer, je traçai, sans en rien dire à personne, non pas même à M. Racine, le canevas d’un prologue ; et j’en composai une première scène. Le sujet de cette scène étoit une dispute de la Poésie et de la Musique, qui se querelloient sur l’excellence de leur art, et étoient enfin toutes prêtes à se séparer, lorsque tout à coup la déesse des accords, je veux dire l’Harmonie, descendoit du ciel avec tous ses charmes et ses agrémens, et les réconcilioit. Elle devoit dire ensuite la raison [3] qui la faisoit venir sur la terre, qui n’étoit autre que de divertir le prince de l’univers le plus digne d’être servi, et à qui elle devoit le plus, puisque c’étoit lui qui la maintenoit dans la France, où elle régnoit en toutes choses. Elle ajoutoit ensuite que, pour empêcher que quelque audacieux ne vînt troubler, en s’élevant contre un si grand prince, la gloire dont elle jouissoit avec lui, elle vouloit que dès aujourd’hui même, sans perdre de temps, on représentât sur la scène la chute de l’ambitieux Pliaéion. [4] Aussitôt tous les poètes et tous les musiciens, par son

  1. D’Alembert blâme ces jugements : « Grande leçon, dit —il, aux plus heureux génies, et de ne point forcer leur talent et de se taire sur ce qu’ils ignorent. »
  2. L’opéra de Quinault, sur le même sujet, fut représenté en janvier 1683.
  3. « Voilà exactement, Selon d’Alembert, le maître de musique de M. Jourdain, qui prétend que tous les hommes devraient apprendre la musique pour être d’accord entre eux… On peut remarquer, ajoute-t-il, la négligence du style dans ce morceau de prose »
  4. M. Despréaux, dit Saint-Marc, n’avoit fait aucun effort pour être neuf.