Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/101

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Le couvert étoit mis dans ce lieu de plaisance,
Où j’ai trouvé d’abord, pour toute connoissance,
Deux nobles campagnards grands liseurs de romans,
Qui m’ont dit tout Cyrus[1] dans leurs longs complimens.
J’enrageois. Cependant on apporte un potage[2].
Un coq paroissoit en pompeux équipage,
Qui, changeant sur ce plat et d’état et de nom,
Par tous les conviés s’est appelé chapon.
Deux assiettes suivoient, dont l’une étoit ornée
D’une langue en ragoût, de persil couronnée ;
L’autre, d’un godiveau tout brûlé par dehors,
Dont un beurre gluant inondoit tous les bords.
On s’assied : mais d’abord notre troupe serrée
Tenoit à peine autour d’une table carrée,
Ou chacun, malgré soi, l’un sur l’autre porté,
Faisoit un tour à gauche, et mangeoit de côté.
Jugez en cet état si je pouvois me plaire,
Moi qui ne compte rien ni le vin ni la chère,
Si l’on n’est plus au large assis en un festin
Qu’aux sermons de Cassagne, ou de l’abbé Cotin[3].
QuNotre hôte cependant, s’adressant à la troupe,
« Que vous semble, a-t-il dit, du goût de cette soupe ?
Sentez-vous le citron dont on a mis le jus
Avec des jaunes d’oeufs mêlés dans du verjus ?

  1. Roman en dix volumes de Mlle de Scudéry.
  2. Potage est pris ici dans le sens de premier service, sans cela on ne voit pas comment un coq pourrait y paraître.
  3. Cassagne et Cotin étaient tous deux de l’Académie française. On dit que c’est Furetières qui désigna à Boileau le nom de ses deux confrères. Cassagne, si l’un on croyait l’abbé d’Olivet, aurait été si affligé de ce sarcasme que sa tête se serait dérangée. Heureusement qu’il n’en fut rien ; Cassagne parut même ne ressentir de ce trait aucun ressentiment :
    mais il en fut autrement pour Cotin, qui mal mené également
    par Molière dans sa comédie des Femmes savantes, prit la chose au tragique, et ne cessa dès lors de cabaler contre Boileau.