Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/234

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FuChez nos dévots aïeux le théâtre abhorré
Fut longtemps dans la France un plaisir ignoré.
De pèlerins, dit-on, une troupe grossière[1]
En public à Paris y monta la première ;
Et, sottement zélée en sa simplicité,
Joua les saints, la Vierge et Dieu, par piété.
Le savoir, à la fin dissipant l’ignorance,
Fit voir de ce projet la dévote imprudence.
On chassa ces docteurs prêchant sans mission ;
On vit renaître Hector, Andromaque, Ilion.
Seulement, les acteurs laissant le masque antique[2],
Le violon tint lieu de chœur et de musique[3].
LeBientôt l’amour, fertile en tendres sentimens,
S’empara du théàtre ainsi que des romans.
De cette passion la sensible peinture
Est pour aller au cœur la route la plus sûre.
Peignez donc, j’y consens, les héros amoureux ;
Mais ne m’en formez pas des bergers doucereux ;
Qu’Achille aime autrement que Thyrsis et Philène ;
N’allez pas d’un Cyrus nous faire un Artamène[4];
Et que l’amour, souvent de remords combattu,
Paroisse une foiblesse et non une vertu.
PaDes héros de roman fuyez les petitesses :
Toutefois aux grands cœurs donnez quelques foiblesses.
Achille déplairoit, moins bouillant et moins prompt :

  1. Il s’agit ici des mystères et des moralités représentés par les confrères de la Passion. Mais en 1548, à la suite des controverses religieuses, une ordonnance interdit la représentation de ces pièces.
  2. Ce masque antique s’appliquait sur le visage de l’acteur et représentait les traits du personnage qu’on introduisait en scène.
  3. Le violon est un maigre accompagnement, et ne peut donner aucune idée du chœur antique. Mais avec Esther et Athalie on le vit reparaître et montrer toute son importance morale et religieuse.
  4. Artamène est le nom que porte Cyrus dans le roman de Mlle de Scudéri.