Page:Boileau - Œuvres poétiques, édition 1872.djvu/235

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J’aime à lui voir verser des pleurs pour un affront.
À ces petits défauts marqués dans sa peinture,
L’esprit avec plaisir reconnoit la nature.
Qu’il soit sur ce modèle en vos écrits tracé :
Qu’Agamemnon soit fier, superbe, intéressé,
Que pour ses dieux Enée ait un respect austère.
Conservez à chacun son propre caractère.
Des siècles, des pays étudiez les mœurs :
Les climats font souvent les diverses humeurs.
LeGardez donc de donner, ainsi que dans Clélie,
L’air ni l’esprit françois à l’antique Italie ;
Et, sous des noms romains faisant notre portrait,
Peindre Caton galant, et Brutus dameret.
Dans un roman frivole aisément tout s’excuse ;
C’est assez qu’en courant la fiction amuse ;
Trop de rigueur alors seroit hors de saison :
Mais la scène demande une exacte raison ;
L’étroite bienséance y veut être gardée.
L’D’un nouveau personnage inventez-vous l’idée ?
Qu’en tout avec soi-même il se montre d’accord,
Et qu’il soit jusqu’au bout tel qu’on l’a vu d’abord.
EtSouvent, sans y penser, un écrivain qui s’aime
Forme tous ses héros semblables à soi-même :
Tout a l’humeur gasconne en un auteur gascon ;
Calprenède et Juba[1] parlent du même ton.
La nature est en nous plus diverse et plus sage ;
Chaque passion parle un différent langage :
La colère est superbe, et veut des mots altiers,
L’abattement s’explique en des termes moins fiers.
L’Que devant Troie en flamme Hécube désolée
Ne vienne pas pousser une plainte ampoulée,
Ni sans raison décrire en quel affreux pays

  1. Héros de la Cléopatre, roman de Calprenède.