Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/55

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être comparée ? Sans doute, chez ces êtres subalternes qu’on appelle “ les bons vivants ”, l’opium exacerbe et multiplie les vulgaires appétits ; mais il rend les lettrés et les penseurs plus curieux et plus subtils que jamais, absolument dédaignieux du vin, de la fine chère et des gueuses ; il donne plus d’amplitude et de profondeur aux sacro-saintes voluptés de l’étude, de la méditation, du souvenir.

Hélas ! pour que l’opium continue à produire ses merveilleux effets, il ne suffit pas d’augmenter les doses, au risque de voir s’anémier et dépérir le cerveau, le sublime triomphateur planant sur les orgies d’hier. Si nul autre péril ne menaçait le fouineur, l’esprit déprimé, on serait quitte pour se satisfaire, comme l’imbécile, avec des larves et des fantômes d’idées, et le fumeur marcherait vers la mort dans la consolante illusion de rester un pur penseur, grand, sage, égalable aux demi-dieux ; mais après quelques mois, l’intoxiqué fume machinalement, et les douleurs survivent à l’empoisonnement accoutumé ; cependant l’opium rend plus que jamais l’esprit curieux, fureteur, épris des idées complexes et spécieuses.

Dans un livre sur l’opium, M. Bonnetain montre son héros au lendemain de la première pipe, malade de n’avoir pas fumé. Ceci me paraît inexact, à moins qu’un tel effet ne se produise