Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/71

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20 mars.



Au crépuscule, à l’heure de la promenade, un spectacle horrible m’a magnifiquement attiré : deux têtes le rebelles saignaient aux poteaux du marché ; l’une, défigurée, la mâchoire inférieure disloquée ; l’autre, belle dans sa pâleur encore fière, la tête du brave M… mort à vingt-six ans ; tous les Français qui l’ont connu pleurèrent cet ennemi.

… Triste, j’erre au bord de la mer, à travers ce vaste quadrilatère irrégulier, la plaine des Tombeaux. À l’ouest, des roches hérissées de végétation dure et sombre se profilent sèchement sur le ciel, ainsi que des décors de théâtre ; j’aime mieux regarder les abruptes collines courant au sud vers la haute mer, avec des creux où s’amasse l’ombre violette et des reliefs où la lumière se dégrade en merveilleuses nuances. La plaine est semée, parmi ses sables et ses herbes brûlées, de mares d’eau de pluie autour desquelles le gazon frais et vert abonde. Un rectangle fait de murs de briques encercle un champ où de petits mamelons, soigneusement rangés, s’alignent par centaines : c’est le cimetière des naufragés. Ces mamelons moutonnants, ce sont les tombes des marins perdus à la mer ; leurs âmes errantes trouveront un