Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/74

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de Lisle, ont donné l’âme à leurs plus fortes œuvres avec cette impatience de filer vers de nouveaux pays et des civilisations nouvelles, avec cet amour des étranges et lointaines manières de vivre et de penser, qui, douant de larges ailes leur esprit inquiet, les emporte loin de leurs contemporains et loin de leurs concitoyens. Leur désir s’alimente des dégoûts de l’existence quotidienne. Mais l’artiste qui ne sait pas se réfugier dans un rêve assez intense et assez splendide pour s’y consoler et s’y guérir, qui, peu confiant en les magies de la pensée, prend le wagon ou le paquebot pour fuir les hommes et les pays détestés, et qui demande l’oubli délicieux à l’Afrique arabe, à Ceylan ou à la civilisation indochinoise — celui-là est à jamais perdu pour l’art. Au début, son esprit encore curieux et aiguisé se complaira dans l’étude des formes et des idées neuves ; il savourera leur exotisme, il admirera leur complexité ; et il se persuadera qu’il continue ainsi son œuvre, car on ne renonce pas d’un coup aux joies et aux douleurs de la procréation cérébrale. Le haschisch ou l’opium promettront d’ouvrir pour lui les portes que ne dépassent point les profanes, et aussi de rendre son esprit plus compréhensif, mieux apte à lire au tréfonds des êtres qui ont médité sur le Rig-Véda ou sur les maximes de Manh-Teu. Mais