Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/73

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jeune et vivante : elle ressemblait à toutes les femmes de ce pays ; elle souriait gentiment, son cou gracile dressé sur son collier fait de grosses perles d’ambre jaune. De lourdes bagues d’or indigène, battues sans art, encore rugueuses et bosselées des coups de marteau — luxe massif et bête, si cher aux Annamites, cerclaient ses doigts fluets. Je recompose sa face ronde, plate et d’un beau jaune rosé, pareille à un lever de pleine lune, ses mignonnes dents laquées, ses larges yeux sans éclair, pareils aux miroirs d’ébène, aux profonds et calmes étangs. Seul, aujourd’hui, je pense à la belle Annamite et à son époux de passage ; seul, je songe aux nuits lointaines, aux anciennes amours.


21 mars.



Taine, dans une page sur le séjour du peintre Gleyre à Khartoum ; Fromentin, dans un chapitre du Sahel, ont noté l’influence déprimante des pays tropicaux, “ des sensations perfides et douces ” qu’ils apportent à l’Européen, et la difficulté de fuir pour qui s’est, quelques semaines, abandonné à la douceur, à la perfidie de ces sensations. Certes, les artistes, les Flaubert, les Goncourt, les Huysmans, les Leconte