Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/78

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sa cour, un latanier géant érigeant son stipe svelte et droit et étalant la rosace-éventail de son feuillage fait de lamelles aiguës.

Un pauvre diable de débitant vient de mourir. Je l’ai revu pendant bien des longues insomnies, en des cauchemars nés de l’opium et des embarras gastriques.

Nous l’avons trouvé encore brûlant, tout vert, à demi nu sur un châlit de bambou. Les murs de torchis, non encore passés à la chaux, sont fendillés, craquelés en mille endroits, ce qui faisait scintiller comme des gouttes de soleil dans la boue sèche. Le sol était couvert de pommes de terre germées, dégageant un relent de terre grasse et pourriture. Et des boys à l’air cynique et fripouillard veillaient le pauvre mort en jouant à la main-chaude.

Mais, pour chasser ces odieuses remembrances, il me suffit d’évoquer l’attirante, douce et hautaine figure du roi Dong-Khanh mort depuis trois jours. Je l’ai vu jadis, pâle jeune homme, déjà triste, tourmenté par le souvenir de ses ancêtres ; j’ai deviné son âme de pur lettré, habile à se torturer d’infinis scrupules, à cette heure où la couronne n’eût été bien placée