Page:Boissière - Propos d’un intoxiqué, 1909.djvu/80

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en Europe qu’on trouverait des domestiques assez naïfs pour voler un demi-litre d’absinthe et pour le remplacer dans la bouteille par de l’eau pure, aqua simplex.


Haiphong, avril 1889.



N-i ni, c’est fini ; la guérison est complète ! Un brave médecin indigène de Hanoi m’a fabriqué un thuôc — une noire pâte massive -, qui, divisé en boulettes et avalé à la manière des sulfates de quinine, m’a permis de renoncer à l’opium. Dame ! il a fallu quelque courage !

Et voici qu’en feuilletant ces huit livres de notes je retrouve tout effaré, sans les comprendre, bien d’étranges, paradoxales, et par trop dédaigneuses théories ! Pendant trois ans, j’ai vécu d’une vie anormale, sans une idée, sans un sentiment analogues aux sentiments et aux idées des autres hommes. D’un jeune homme simple, sans passions, de moyenne intelligence, d’un garçon peut-être assez borné mais tolérant, et capable de tout comprendre et de tout aimer, cette période triennale a fait un raffiné fantasque et méchant, brutal dans ses affirmations, étroit dans ses idées — méprisant, surtout, ce qui ne peut être que le résultat d’une anémie cérébrale, car