Page:Bonnerot - Romain Rolland sa vie son oeuvre.djvu/100

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Un second pamphlet suivit, dédié « à Celle qu’on a aimée », c’est-à-dire la patrie. Mais, déformé par un journal, il fut bafoué, maudit ; et Clérambault connut soudain la haine tenace de ses amis d’hier : Léo Camus le traite de criminel ; son camarade de lycée. Octave Berlin, l’appelle ennemi public ; Perrotin se moque de lui ; le fils d’un des amis, Daniel Faure, tout en reconnaissant que ses pensées sont peut-être justes et vraies, les juge inopportunes. Autour de lui, ce n’est qu’hostilité : sa femme, aigrie par tout ce bruit, lui en veut ; seule, sa fille Rosine le comprend, l’approuve, mais le supplie de ne pas écrire. « Il n’y a pas besoin de tout écrire. »

Qu’importe, il ne peut se taire, il ne s’appartient plus, il souffre d’avoir parlé et il sent qu’il va de nouveau parler. Et il jette son « Appel aux vivants » ; « La mort règne sur le monde. Vivants, secouez son joug !… Vive la vie ! Seule la vie est sainte. Et l’amour de la vie est la première vertu… Hommes, il n’est pas vrai que vous soyez les esclaves des morts et par eux enchaînés comme des serfs à la terre… soyez maîtres des jours… soyez libres. » Mais le silence mure Clérambault dans une tombe. Il est désespérément seul. On l’abandonne, on le fuit et lui-même se sent « un contre tous, l’ennemi commun, le destructeur des illusions qui font vivre ». Lent et douloureux calvaire : c’est son amie, Mme Mairet, la veuve du biologiste, habituée à la recherche de la vérité, qui a besoin d’idéaliser et de croire que son mari est tombé au front pour une cause sainte ; c’est sa nièce Aline, qui en vient à oublier son propre deuil, la mort de son mari, devant le nouveau-né, son espoir et son cher printemps. Cependant une joie lui fut donnée : un étudiant, blessé, Julien Moreau, vint le remercier du bien que lui avait fait la lecture de ses articles. Une lumière dans sa nuit : « bonheur étrange qu’éprouve une âme à sentir qu’elle participe au