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blerait leurs habitudes saintes et dépasserait peut-être leur entendement.


Le Théâtre du Peuple

C’est pour lutter contre cet état d’esprit lamentable qu’un certain nombre de jeunes écrivains, Maurice Pottecher, Gabriel Trarieux, Louis Lumet, R. Rolland, sous les auspices de la Revue d’Art dramatique et de son actif directeur, Lucien Besnard, prirent l’initiative de renouer la tradition interrompue de la Révolution et de fonder un théâtre du peuple. En mars 1899, fut lancée une circulaire, « pour provoquer la réunion d’un congrès international de théâtre populaire, » véritable discours-manifeste qui, après vingt ans, garde encore aujourd’hui toute sa valeur et toute son actualité. (Publiée en appendice dans le Théâtre du Peuple, p. 187.)

« L’art est en proie à l’égoïsme et à l’anarchie. Un petit nombre d’hommes en ont fait leur privilège et en tiennent le peuple écarté. La partie la plus nombreuse et la plus vivante de la nation n’a point d’expression dans l’art. Il n’y a d’art que pour les blasés. ...Pour le salut de l’art, il faut l’arracher aux privilèges absurdes qui l’étouffent et lui ouvrir les portes de la vie. Il faut que tous les hommes y soient admis. Il faut enfin donner une voix aux peuples et fonder le théâtre de tous, où l’eÊfort de tous travaille à la joie de tous... Nous appelons à nous tous ceux qui se font de l’art un idéal humain et de la vie un idéal fraternel, — tous ceux qui ne veulent point séparer le rêve de l’action, le vrai du beau, le peuple de l’élite. Qu’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas d’une tentative littéraire. C’est une question de vie ou de mort pour l’art et pour le peuple. Car si l’art ne s’ouvre pas au peuple, il est condamné à disparaître ; et si le peuple ne trouve pas le chemin de l’art, l’humanité abdique ses destinées ».