Page:Bonnerot - Romain Rolland sa vie son oeuvre.djvu/75

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remâche sa monotonie, mais au contraire une fièvre de probité qu’exaspèrent toute action, toute doctrine, toute tolérance malsaines.[1] »

  1. Certains critiques ont reproché à R. Rolland d’avoir choisi un « héros allemand ». Georges Pourcel, dans un article du Parthénon (20 octobre 1913, pp. 22-30), intitulé L’homme de génie : Jean-Christophe, leur avait déjà répondu : « Peut-être une inclination d’esprit, sympathie marquée pour la patrie de Gœthe et de Beethoven, où l’âme, semble-t-il, a plus de profondeur et de gravité. Et sans doute ceci : M. R. R. avait le dessein préconçu de faire venir son musicien à Paris. Il fallait que Jean-Christophe jugeât la France du dehors avec le recul et la liberté d’esprit nécessaires ». Mais R. Rolland, tenant à dissiper toute équivoque, prit soin de préciser les raisons de son choix, dans un article du Parthénon (5 novembre 1913, pp. 67-68), intitulé Les origines germaniques de Jean-Christophe. « J’ai eu plus d’une raison pour choisir les pays rhénans comme patrie de mon héros. D’abord son génie musical : c’est une plante qui, jusqu’ici, n’a pas trouvé chez nous des conditions propices pour se développer vigoureusement. Puis… mon dessein d’observer la France avec des yeux tout neufs de Huron candide et barbare. Mais j’avais une autre raison secrète et plus profonde : ce sera une réponse aux harangues des pangermanistes qui viennent de fêter avec fracas l’anniversaire de la « Bataille des Nations ». Le pays de Beethoven et de Jean-Christophe ne sera jamais pour moi un pays étranger. Je ne suis pas de ces lamentables Français qui, dans la rage qu’ils mettent à appauvrir la France, afin de la réduire à eux et à leurs amis, ne seraient pas loin de la ramener aux limites du domaine de leur Philippe-Auguste et qui traitent d’étranger le Genevois Jean-Jacques. Je ne tiens pas plus de compte de leur nationalisme rétréci que de l’arrogance de l’impérialisme allemand qui, par droit de conquête, s’étale impudemment dans des terres qu’il a volées… Quand dix siècles de conquête germanique auraient passé sur le Rhin, ils ne feraient point que Rome et que Byzance n’y aient enfoncé leur proue et que la grande route qui mène des Alpes latines aux Pays-Bas du Nord n’ait été fécondée par les semences de liberté, qu’ont répandues, sur leur passage, les flots de pèlerins. Le Rhin est une coulée de lumière qui mûrit les coteaux et les âmes d’Occident ; elle n’est pas plus à vous, Allemands, qu’elle n’est à nous : elle est à l’Europe. Elle ne nous divise point, elle nous réunit. Qu’il en puisse être de même de mon Christophe, votre fils et le nôtre. »

    [Passage capital, que je m’excuse d’avoir rejeté en note ; mais je n’ai pu le retrouver que, tardivement, au cours de la mise en page. La revue Le Parthénon figure bien sur les rayons de la Bibliothèque Nationale, mais avec de telles lacunes qu’il est impossible d’y faire des recherches utiles.]