Page:Bonnerot - Romain Rolland sa vie son oeuvre.djvu/81

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« la maison des autres », celle de ses enfants. Mais il accepte ces ennuis comme maux nécessaires et se console en lisant les Vies des Hommes illustres de Plutarque. « Bénis soient mes yeux par où s’infiltre en moi la vision merveilleuse enclose dans les livres ! » (p. 289) et voici que devant Colas Breugnon et devant nous, « entre les deux fossés des marges sur la page », défile le cortège des héros et des belles. Évocation majestueuse qui eût rempli de joie messire Jacques Amyot, traducteur de Plutarque ! Jamais peut-être n’ont été dits, en mots aussi simples et aussi vrais, le charme et la consolation des vieux livres (p. 294 et ss.). « Ils sont ma famille, ils sont moi, ils sont l’Homme. Que je plains les pauvres déshérités qui ne connaissent point la volupté des livres ! Il en est qui font fi du passé, fièrement, s’en tenant au présent... oui, le présent est bon. Mais tout est bon, corbleu ! et je prends de toutes mains... S’en tenir au présent, c’était bon au temps du vieil Adam... Mais nous qui avons l’heur de venir après lui dans une maison pleine où nos pères, nos grands-pères... ont entassé, tassé, ce qu’ils ont amassé, nous serions assez fous pour brûler nos greniers sous le prétexte que nos champs produisent encore du blé ! Le vieil Adam, il n’était qu’un enfant ! C’est moi, le vieil Adam ; car je suis le même homme et depuis j’ai grandi... Les peines et les joies de l’univers sont miennes. Qui souffre, j’en pâtis ; qui est heureux, je ris. Bien mieux que dans la vie, je sens à travers mes livres la fraternité qui nous lie, nous tous les porte-hottes et les porte-couronnes : car des uns et des autres il ne reste que cendres et la flamme qui, nourrie de la moelle de nos âmes, monte unique et multiple vers le ciel, en chantant avec les mille langues de sa bouche sanglante la gloire du Tout-Puissant. »

Combien d’amis de Jean-Christophe ont dû chérir maître Colas Breugnon pour ces mots si humains ! et combien ont dû répéter les phrases évocatrices sur l’art (p. 107) : « Un beau meuble est comme un fruit qu’on doit cueillir à l’espalier ; il ne saurait pousser sans l’arbre, et tel est