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charmants, rêveries à deux, espérances jolies, — tandis qu’au loin, sur les champs de bataille et sur Paris, la guerre accomplit sa besogne de mort. Pierre et Luce sont heureux et le bonheur ressemble à un éternel sourire. Puis, pour fêter leurs fiançailles secrètes, ils vont dans une église recevoir la bénédiction de la musique. Leurs doigts restaient « joints, entrelacés ensemble comme les pailles d’une corbeille. Ils étaient une seule chair que les ondes de musique parcouraient de leurs frissons ; leurs cœurs, fondus d’amour, touchaient aux cimes de la joie la plus pure. » Soudain le gros pilier auquel ils étaient adossés remua, chancela et croula. Serrés l’un contre l’autre, Pierre et Luce furent anéantis. Ceci se passait le Vendredi Saint 29 mars 1918 ; un obus allemand, d’un canon à longue portée, venait d’écraser l’église Saint-Gervais.


Clérambault, histoire d’une conscience libre pendant la guerre (1920)

Soudain, le 4 mai 1919, une dépêche rappelait R. Rolland à Paris, près du chevet de sa mère mourante. Heures angoissantes et tragiques ! Après des années de séparation, il revit les siens, auxquels l’attachait une amitié tendre et douce, si délicate et si fidèle : des lettres quotidiennes avaient atténué un peu les épreuves de cette longue absence, — plus cruelle qu’un exil : son père, vaillant vieillard, alerte et doux ; sa sœur, demeurée son guide et son plus sûr conseiller, — et sa mère, souriante et bonne, et si confiante à ses pensées, l’accueillirent. Mais le mal lentement triompha : la nuit et le silence se firent sur cette intelligence.