Page:Bornier - Poésies complètes, 1894.djvu/76

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À quoi rêver ? Hélas ! gloire, honneurs, renommée,
Amours de l’âge heureux, succès de l’âge mûr,
Lui semblent maintenant moindres que la fumée
Qui montait autrefois à l’angle d’un vieux mur !

Comme il donnerait tout de ce que l’homme envie,
Pour voir un seul nuage errant à l’horizon !
Mais ce captif plongé dans une obscure vie
Ne voit pas même l’ombre, éternelle prison !

Ses souvenirs lui sont importuns, il les chasse,
Car le meilleur est vain s’il ne cache un espoir ;
D’espoir, il n’en a plus, et sa pensée est lasse
De compter biens et maux qu’il ne peut plus avoir.

Voilà ce que l’on dit. — Mais un éclair de joie,
Souvenir fier et doux, sur son front noble à lui :
Un homme allait périr, les flots tenaient leur proie…
Il y voyait alors, l’aveugle d’aujourd’hui !

Aveugle… oui, mais il croit voir encor tout ce drame :
L’homme qui s’est jeté dans le gouffre grondant,
Qui s’enfonce ou remonte au gré de chaque lame
Qui veut mourir et qui veut vivre cependant !

Il est sauvé. Par qui ? Par toi. — Ce fut ta gloire,
Jeune homme ; et maintenant, dans la nuit de tes yeux,
Ce premier dévoûment de ta touchante histoire,
Allume ce rayon tendre, grave et joyeux ;