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LE SAUVETEUR AVEUGLE 65

Le premier... le dernier, dit-il avec tristesse ; Si quelqu’un lui criait : Un homme va périr ! Immobile, impuissant devant cette détresse, Il ne pourrait, hélas ! ni sauver, ni mourir ! Mourir... non ; mais sauver, il peut le faire encore ; Son bras est désarmé depuis ces jours anciens, Mais par ce dévoûment dont la soif le dévore, Il armera, du moins d’autres bras que les siens : « Venez à moi, vous tous qui sentez sur vos têtes « Passer avec le vent les souffles généreux, « J’entends des cris là-bas dans les noires tempêtes, « Les tigres de la mer se querellent entre eux ; « La querelle des flots aux hommes est mortelle, « L’ouragan aux récifs jette les lourds vaisseaux ; « L’âme des durs marins, tout à coup, devant elle, « Voit un monstre inconnu sortir des sombres eaux ! « Courez donc ! Disputez, arrachez aux abîmes « Ces hommes, ces vieillards, ces femmes, ces enfants, « A l’Océan livrez ces batailles sublimes ; « Pareil sera l’honneur, vaincus ou triomphants !... » Ils partent. Et l’aveugle, inspirateur et guide De leurs vaillants labeurs, dans sa pensée en feu Les écoute et les suit... Son œil reste-t-il vide ?

— Qui sait ? S’il ne voit plus les hommes, il voit Dieu ! 1870.